La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

Ghazala Khan
| 09 Sep 2016

“L’Amérique de…” : une chronique éphémère sur des Américain.e.s qui font ou ont fait l’histoire des États-Unis. Cette semaine, l’Amérique de Ghazala Khan.

Ghazala Khan, c’est cette présence frêle sur la scène du Wells Fargo Center à Philadelphie, pendant la convention du Parti démocrate en juillet dernier. Elle se tient, la tête voilée, aux côtés de son mari Khizr. Derrière eux, le portrait géant de leur fils Humayun, victime en 2004 d’une attaque-suicide à Bagdad, où il était stationné avec son régiment. Ghazala Khan ne dit pas un mot. C’est son mari qui parle. “Avez–vous jamais lu la Constitution américaine ?”, demande-t-il à Donald Trump en brandissant un exemplaire du texte sous un tonnerre d’applaudissements. “Vous n’avez jamais fait le sacrifice de rien, vous n’avez jamais fait le sacrifice de personne.”

Cimetière américain de Colleville-sur-Mer © Hélène Quanquin - Une chronique sur les présidentielles américaines

Cimetière américain de Colleville-sur-Mer ©Hélène Quanquin

L’Amérique de Ghazala Khan, c’est celle des cimetières militaires américains, ces rangées de tombes qui s’étendent à l’infini, où sont enterré.e.s celles et ceux qui sont mort.e.s au combat, depuis la guerre d’Indépendance, jusqu’à la guerre en Irak. Ghazala Khan est une “Gold Star Mother”, le nom donné aux mères de soldat.e.s tué.e.s à la guerre, honorées le dernier dimanche de septembre depuis 1938. C’est l’armée comme symbole de l’intégration des minorités et comme terrain de lutte contre les discriminations. En 1948, Harry Truman signe un décret présidentiel qui interdit la discrimination dans l’armée. En 1954, le dernier régiment noir est aboli, la même année où la Cour suprême déclare la ségrégation à l’école non conforme à la Constitution. En septembre 2011, est abolie la politique du “Don’t Ask, Don’t Tell”, qui empêchait les homosexuel.le.s de parler de leur orientation sexuelle sous peine d’être exclu.e.s de l’armée. Lorsqu’en 1965, le président Lyndon B. Johnson annonce la fin des quotas d’immigration par nationalité, il parle des “hommes qui s’appellent Fernandez et Zajac et Zelinko et Mariano et McCormick” morts au Vietnam. Les parents d’Humayun Khan sont d’origine pakistanaise.

L’Amérique de Ghazala Khan, c’est aussi la guerre au nom de la démocratie américaine et ses conséquences à l’intérieur et à l’extérieur du pays. C’est la guerre en Irak et ses plus de 500 000 morts. Ce sont ces milliers de soldats qui souffrent de syndrome post-traumatique. C’est aussi la militarisation de la police et de la société, conséquence du transfert de matériel militaire aux forces de police locales.

L’Amérique de Ghazala Khan, c’est Donald Trump qui suggère que si elle n’a pas dit un mot à la convention démocrate, c’est parce qu’elle n’était peut-être pas autorisée à le faire – ce qu’il ne dit pas, mais pense très fort, c’est que sa religion interdirait aux femmes de s’exprimer. Au journaliste qui lui demande s’il a jamais sacrifié quoi que ce soit, il répond qu’il a créé des milliers d’emplois et qu’il a connu beaucoup de réussite dans sa vie – une définition bien à lui du sacrifice. Alors qu’on commençait à croire que rien ne pourrait l’arrêter, il dévisse dans les sondages. Ghazala Khan lui répond dans un article du Washington Post que “le terrorisme est une religion différente” de l’Islam et que si elle n’a pas pris la parole lors de la convention démocrate, c’est parce que, depuis 2004, elle ne peut plus entrer dans une pièce où il y a des photos de son fils.

Hélène Quanquin
L’Amérique de…

[print_link]

0 commentaires

Dans la même catégorie

Donald Trump (eh oui)

Le 23 octobre dernier, le New York Times publiait la liste des “282 personnes, lieux et choses que Donald Trump a insultés sur Twitter”, depuis Barack Obama et Hillary Clinton jusqu’à l’opérateur de télécommunications T-Mobile et le Super Bowl, en passant par le Parti républicain. Le 8 novembre, Donald Trump recueille la majorité des grands électeurs et devient “President-elect” des États-Unis, le titre qu’il portera jusqu’au jour de son investiture. C’est ça, l’Amérique de Donald Trump. (Lire l’article)

Pocahontas

En 1614, Pocahontas, la fille du chef de la tribu amérindienne de Virginie des Powhatan, se convertit au christianisme et épouse le colon britannique John Rolfe, connu pour avoir introduit la culture du tabac en Amérique du Nord. En 1616, ils traversent l’Atlantique avec leur fils et voyagent en Angleterre pour faire la promotion de la toute nouvelle colonie de Virginie. En mars 1617, Pocahontas meurt d’une maladie inconnue. Elle est enterrée à l’église Saint-George, dans le Kent. En mars 2017, la British Library organisera à Londres une conférence à l’occasion du 400anniversaire de sa mort. (Lire l’article)

Mildred Loving

Le 11 juillet 1958, au petit matin, le shérif de Central Point en Virginie et ses deux adjoints s’introduisent dans la maison de Mildred et Richard Loving et les arrêtent pour avoir enfreint la loi de l’État qui interdit le mariage entre deux personnes de races différentes. Neuf ans plus tard, la Cour suprême des États-Unis déclare que les lois interdisant les mariages interraciaux sont contraires à la Constitution. Le 4 novembre 2016, Loving, qui raconte l’histoire de Mildred et Richard Loving, sort sur les écrans de cinéma américains après avoir été sélectionné à Cannes. (Lire l’article)

Bob Dylan

Enfant, Bob Dylan était toujours en train de courir. Il fugue pour la première fois quand il a 10 ans, part de la maison définitivement à l’âge de 18 ans pour s’installer à New York. “C’était comme si j’avais toujours été à la poursuite de quelque chose, quelque chose en mouvement – une voiture, un oiseau, une feuille qui s’envole – quelque chose qui pourrait m’amener vers un endroit mieux éclairé, une terre inconnue en aval”, écrit-il dans le premier volume de ses Chroniques, publiées en 2004. Lorsque l’un de ses profs lui dit que son fils a “la nature d’un artiste”, son père demande : “Un artiste, c’est pas un gars qui peint ?” Soixante ans plus tard, Bob Dylan est prix Nobel de Littérature. (Lire l’article)

Victoria Woodhull

En mai 1872, Victoria Woodhull déclare sa candidature à l’élection présidentielle. Elle n’a pas le droit de vote, et a deux ans de moins que l’âge minimal de 35 ans requis par la Constitution américaine pour devenir président.e des États-Unis. Comme candidat à la vice-présidence, elle propose le nom de Frederick Douglass, l’ancien esclave devenu abolitionniste, qui déclinera la proposition – il n’avait pas été consulté au préalable. Trois jours avant l’élection, elle publie un article dans lequel elle accuse le pasteur Henry Ward Beecher d’avoir eu une liaison avec la femme de l’un de ses meilleurs amis. Elle est arrêtée pour “obscénité”. (Lire l’article)