“L’Amérique de…” : une chronique éphémère sur des Américain.e.s qui font ou ont fait l’histoire des États-Unis. Cette semaine, l’Amérique de Victoria Woodhull.
En mai 1872, Victoria Woodhull déclare sa candidature à l’élection présidentielle. Elle n’a pas le droit de vote, et a deux ans de moins que l’âge minimal de 35 ans requis par la Constitution américaine pour devenir président.e des États-Unis. Comme candidat à la vice-présidence, elle propose le nom de Frederick Douglass, l’ancien esclave devenu abolitionniste, qui déclinera la proposition – il n’avait pas été consulté au préalable. Trois jours avant l’élection, elle publie dans le journal qu’elle a fondé avec sa sœur un article dans lequel elle accuse le pasteur Henry Ward Beecher d’avoir eu une liaison avec la femme de l’un de ses meilleurs amis. Elle est arrêtée pour “obscénité”.
L’Amérique de Victoria Woodhull, c’est celle des premières femmes en politique. C’est Jeannette Rankin, la première femme élue au Congrès américain en 1916, puis à nouveau en 1940, et qui vote par deux fois contre l’entrée en guerre des États-Unis en 1917 et 1941. C’est Shirley Chisholm, première femme noire élue au Congrès en 1969. C’est Geraldine Ferraro, la première femme candidate à la vice-présidence pour l’un des deux grands partis en 1984. C’est Angela Davis, candidate à la vice-présidence pour le Parti communiste dans les années 1980. C’est Hillary Clinton.
L’Amérique de Victoria Woodhull, c’est l’idéologie dite de “l’amour libre”, qui fleurit à partir de la moitié du XIXe siècle aux États-Unis. C’est celle des communautés inspirées par le fouriérisme qui prônent l’abolition de la propriété privée et de l’institution du mariage. C’est Oneida, fondée dans l’État de New York en 1848 par John Humphrey Noyes, qui institue le “mariage complexe” et bannit toute relation exclusive. C’est la prolifération de pseudosciences dont s’entichent les Américains, depuis les régimes alimentaires de Sylvester Graham, qui affirme qu’une alimentation végétarienne protège de pensées impures, et donc de la masturbation, jusqu’à la phrénologie, selon laquelle l’examen du crâne révèle la personnalité de ses patient.e.s, et le spiritisme. Victoria Woodhull prétend que l’esprit de Démosthène lui rend visite régulièrement.
L’Amérique de Victoria Woodhull, c’est celle du scandale et des tabloïds. Lorsqu’elle dévoile les infidélités d’Henry Ward Beecher, c’est à l’une des stars du moment qu’elle s’attaque – un homme qui attire les foules à chacun de ses sermons, qui n’hésite pas à montrer ses sentiments et éclate fréquemment en sanglots en public. En 1874, Theodore Tilton, le mari trompé, porte plainte contre lui pour “échange criminel” avec sa femme Elizabeth. À l’issue d’un procès qui dure six mois, Beecher est acquitté. Son église lui vote une augmentation pour lui permettre de payer ses frais d’avocat. Les Tilton divorcent. En 1876, Victoria Woodhull divorce elle aussi de son deuxième mari. Un an plus tard, elle part s’installer en Angleterre. Sa carrière aux États-Unis est terminée.
Hélène Quanquin
L’Amérique de…
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