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Au nom du père
| 27 Nov 2018

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Lars Mikkelsen

Lars Mikkelsen

Ce pourrait être une saga nordique en dix épisodes, avec pasteurs, cols tuyautés, culte dépouillé ; la vibration intense des désirs humains confrontée à l’austérité luthérienne, sur fond de boiseries pastel et haute bibliothèque, tablée familiale, près de ces fenêtres lumineuses comme on les aime là-haut. Au nom du père est tout cela, entre autres. « Les thèmes de prédilection du grand cinéma scandinave, la quête spirituelle et les relations familiales », résume Lars Mikkelsen, frère aîné de Mad, formidable comédien venu du théâtre (et passé déjà par The Killing, en élu meurtrier, ou House of Cards, en réjouissant Poutine), actuellement en lice pour les Emmy awards. Dans Au nom du père, dont la diffusion débute jeudi 29 novembre, Lars Mikkelsen habite le personnage de Johannes Krogh, pasteur coté qui brigue le poste d’évêque à Copenhague, véritable homme de foi, bipolaire confirmé, époux lamentable et père dévastateur. Le titre original de la série, c’est Chevaucher la tempête. Il y a de cela.

Adam Price, auteur et show runner de la série (avec Kaspar Munk comme réalisateur principal) est aussi l’homme de Borgen. Série addictive qui a promu la social-démocratie sur toute la planète et amené bien des votants européens à se demander pourquoi leurs élus nationaux ne siégeaient jamais devant de simples nappes à carreaux. Price bouclait les derniers épisodes de Borgen lorsqu’on l’a contacté pour qu’il réfléchisse à une nouvelle série. Il a pensé à Dieu. Et très vite, aux relations père-fils. Borgen, dit-il, était une série féministe. Celle-ci l’est tout autant, de manière plus diffuse.
Car, en dépit des cols tuyautés, ou avec eux (au Danemark, église et État marchent ensemble), le XXIe siècle est là, et bien là. Il est donc question de bonne gestion et des églises non solvables qui doivent fermer, des mosquées qui s’installent, des réfugiés en sous-sol qui peuvent être poliment réexpédiés vers la mort. 

Au nom du père, série d'Adam PriceLes ressorts narratifs sont néanmoins familiers : Abel et Caïn, sacrifice du fils d’Abraham. Car les pasteurs ont des familles (et dans le cas de Johannès Krogh dont le dialogue avec Dieu peut être interrompu par une cuite d’anthologie), ce n’est pas facile. Sa brutale paternité, héritée d’un papa allumé de Dieu (on pense très fort à Ingmar Bergman) ravage aussi bien le bon fils, celui qui doit assurer la relève, que le mauvais fils, aîné qui a abandonné Dieu pour le commerce avant de découvrir… la voie de la sagesse. Le bon fils, retour d’Afghanistan où il a officié, aura à choisir entre la psychothérapie et Dieu (le père). Comme il dit, « dans notre famille, c’est la même chose ! »

Heureusement qu’Elisabeth, enseignante, épouse dévouée et lucide du pasteur, en complicité avec le mauvais fils, assure la cohésion familiale, avec le soutien de saunas et nage en mer glacée. Jusqu’à un certain point du moins, celui où le désir s’invite. Heureusement que Svend, impavide assistant du pasteur, que celui-ci sans doute tira de la toxicomanie, est là. Tandis que d’enthousiastes membres du conseil paroissial achèvent une fête nus sur un tracteur, la saga nordique s’étoffe des fragilités et des ombres en chacun, s’explose sur les balises du monde contemporain. Avec, et cela aide à faire passer des hallucinations post-Afghanistan un peu trop récurrentes, l’humour et l’ironie sous-jacente d’Adam Price. Cela n’enlève rien à Dieu mais ajoute à l’humanité du propos. 

Dominique Conil
Guide

Au nom du père, jeudi 29 novembre à 20h55 sur Arte, et jusqu’au 13 décembre. Disponible en DVD et blue ray.

 

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