“Pour se venger de sa mère, il tue son chat à coups de marteau”.
Un fait divers, c’est d’abord un titre. Qui, en général, suffit à donner une idée précise de l’affaire. Nous tenons ici un cas remarquable de concision. Ne manquent que le motif de la vengeance (le voici : la mère refusait de donner à son fils de l’argent pour s’acheter du cannabis) et la race du chat (inconnue). Ce déplorable incident a eu lieu à Marseille.
Une mère, un fils, un chat, un marteau. À partir de ces quatre éléments et de deux verbes (venger et tuer), il est possible de développer une combinatoire extrêmement riche, dont tous les produits n’auront cependant pas la même plausibilité. Examinons les cas les plus intéressants.
- “Pour se venger de son fils, elle tue son marteau à coups de chat.” Cette quasi inversion de la proposition initiale produit une scène qui, dans le fond, est peu différente de la précédente : un marteau et une tête de chat entrent en collision, avec décès de l’un des deux (il faudra toutefois que le chat ait la tête très dure pour venir à bout du marteau). Cependant le motif de la vengeance de la mère reste obscur : son fils avait-il mal rangé sa chambre ? Le chat était-il dans la boîte à outils et le marteau dans le panier du chat ? En revanche, la suite de la scène est facile à imaginer : le fils ulcéré saisit ce qu’il reste du chat pour assommer sa mère sous le regard éteint du marteau défunt.
- “Pour se venger du fils, le chat tue la mère à coups de marteau.” Tentons de visualiser la chose. Le chat, que le fils a privé de Ronron, attend la mère derrière une porte, armé d’un marteau de modèle standard qu’il a trouvé sous l’évier et qu’il tient probablement avec sa queue. La mère entre, le chat frappe. Le fils arrive, le chat fait mine de roupiller dans son panier tandis que la flaque de sang s’élargit lentement sur le carrelage de la cuisine. Les policiers dépêchés sur la scène du crime embarquent le fils, évidemment. Le chat est confié à une voisine. Il a faim.
- “Pour se venger du marteau, il tue le chat à coups de sa mère.” Il est cette fois assez facile d’imaginer le motif de la vengeance. Le fils vient de se foutre un coup sur les doigts en essayant de planter un clou dans un mur en parpaings. Moins aisé est de comprendre pourquoi il tue le chat à coups de mère, la sienne en plus. Quoique : celle-ci l’avait menacé, un jour où il se chamaillait avec son frère, de prendre l’un pour taper sur l’autre. Le fils aura pris la formule au pied de la lettre et, comme dans un film de Tex Avery, il aura aplati Minet avec Maman. Reste cette question : pourquoi est-ce le chat qui trinque?
- “Pour se venger de son chat, le marteau tue son fils à coups de sa mère.” Nous entrons ici dans un univers parallèle, à la géométrie probablement non-euclidienne, qui pourrait être le produit d’une consommation d’acide lysergique. Il ne faut pas exclure que le maître du chat soit le marteau, et que le garçon soit le fils du chat. Mais alors la mère, de qui est-elle la génitrice ?
- “Pour se venger de sa mère, le chat tue son fils à coups de marteau.” Si la victime est la mère du chat, alors il est possible qu’il s’agisse ici d’un suicide.
- “Pour se venger du marteau, la mère tue son fils à coups de chat”. Là, les choses sont parfaitement claires, mais on doute que la mère ait joui de toutes ses facultés.
Dans la vraie vie, le garçon, âgé de 19 ans, a immédiatement avoué son crime et reconnu avoir égorgé deux autres chats au cours des mois précédents. Il a coupé la queue de l’un d’eux qu’il a ensuite montrée à sa petite sœur âgée de dix ans. Le taux de THC du cannabis marseillais doit être proprement monstrueux.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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