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Brioches postiches (entretien avec Horace Gratys)
| 17 Oct 2024

Nous avons pu apprécier par le passé la fantaisie de vos créations, mais ne cachons pas que les nouveaux articles dont vous annoncez la prochaine commercialisation nous ont étonnés. Nous avons donc tenu à vous rencontrer afin de savoir comment une idée aussi extravagante vous était venue.

En plusieurs temps. La première fois, ce fut il y a quatre ou cinq ans, alors que je me trouvai dans un petit salon de coiffure du Val-de-Marne (94) pour me faire couper les cheveux.

Comment ! Vous, un capilliculteur paysagiste connu du monde entier, vous fréquentez encore des salons de coiffure ? Vous ne faites pas appel aux services de vos assistants?

Presque jamais. J’aime bien garder le contact avec ces petits salons de banlieue et de province qui – je me permets de vous vous le rappeler – diffusent mes produits ! Je suis aussi attiré par leurs noms souvent imaginatifs, comme celui dont j’allais vous parler.

Comment se nommait-il donc ?

 Pallia-tifs ! Ça ne s’invente pas ! La promesse de la coupe finale, du rasage ultime… (rires) Mais venons en au fait. La coiffeuse, une plantureuse et volubile rousse, n’avait pas encore fini mon shampoing qu’elle avait fait déjà le tour des banalités d’usage sur la pluie et le beau temps. Est-ce parce qu’elle venait de parler du printemps qu’elle me demanda soudain mon âge ? Voulait-elle savoir combien j’en avait connu ? Nous venions de parler de la pluie, je n’avais aucune raison de lui cacher que je n’étais pas de la dernière !

Entendant ma réponse, un client jusque-là discret, d’origine libanaise, a-t-il révélé plus tard – et au physique généreux!– se permit de me demander: Mais à votre âge, où est votre ventre ? Cette question m’a laissé un moment sans voix. On ne me l’avait jamais posée. Je me suis demandé pour la première fois s’il ne me manquait pas quelque chose.

Il y eut donc d’autres fois ? 

Oui, mais c’est seulement l’été dernier que j’eus la véritable révélation. J’avais été invité par une librairie de Bourgueil à dédicacer le deuxième volume de mes souvenirs qui venait de paraître (Peu me chauve, le premier volume Chauve qui peut est toujours disponible aux éditions du Cheveu-léger. NDLR) Il était 10h du matin et c’était le jour du marché. Les chalands se pressaient vers la halle sans paraitre remarquer ma présence. La libraire m’avait pourtant installé une petite table à l’ombre devant la vitrine de son magasin.

Une bourgeoise (à Bourgueil, on est très bourgeois) me demanda sur un ton un peu ironique: Le temps doit vous paraître bien long!
Surtout vu de l’extérieur… comme l’infini! lui répondis-je finement en paraphrasant Iphigénin Plomp.

Qui çà ? 

Vous ne connaissez pas Iphigénin Plomp ? En vérité, peu de gens le connaissent même si l’on commence enfin à le redécouvrir. Mais revenons à nos bourgeois. En attendant mes futurs lecteurs – qui sont le plus souvent des lectrices, je regardais les passants en rêvassant.

Beaucoup d’hommes avançaient d’un pas solennel en exhibant fièrement leur bedaine comme ils le feraient d’une décoration. À présent, je comprenais mieux la réflexion du client du salon de coiffure. À un certain âge, si l’on n’a pas développé une certaine rondeur, on a raté quelque chose dans sa vie, comme la Rolex de M. Seguela qu’il faut avoir eue à cinquante ans ! (rires)

Tous ces bourgeois arboraient donc leur brioche tel un signe extérieur de richesse, comme ils paraderaient au volant de leur dernier SUV. En les voyant marcher pompeusement dans la ruelle piétonne de cette petite ville de province, je pensais à ces immenses navires de croisière glissant devant les petites maisons vénitiennes de la Giudecca.

C’est à ce moment précis que me vînt l’idée de créer une nouvelle collection permettant aux hommes moins gâtés par la nature et la vie, qui se sentiraient diminués, déclassés, moqués de s’afficher fièrement en public. J’en parlais le jour même à mon ami le designer Guus Grappenmaker.  Vous le connaissez peut-être?

Oui, bien sûr. Qui ne le connaît? 

Il accepta immédiatement et avec enthousiasme de m’accompagner sur ce projet. Nous avons aussitôt réuni nos équipes afin de préparer une première gamme de modèles qui puissent être disponibles dès cet automne. Nous y sommes parvenus et n’en sommes pas peu fiers.

Nous parlons depuis un bon moment mais vous n’avez toujours pas révélé à nos lectrices de quoi il s’agissait précisément. 

J’y viens. Comme je l’avais évoqué lors de notre rapide entretien téléphonique, nous avons créé en un temps record une  large collection d’élégantes brioches postiches qui soient – c’était un des impératifs que nous nous étions fixés avec Guus – accessibles à toutes les bourses.

Il était convenu avec mon partenaire que tous les modèles devraient être ultra-légers, afin d’offrir tout le charme de la rotondité sans les inconvénients du surpoids. Nous avons passé ensemble beaucoup de temps à rechercher dans les musées du costume et dans les gravures anciennes des exemples de vertugadins, tournures et autres faux-culs de la structure desquels nous pourrions nous inspirer.

La remise au goût du jour de ces délicieux équipements de la gente féminine sera d’ailleurs une des prochaines étapes de la collaboration avec Guus Grappenmaker.

Ci-dessus, un élégant modèle de tournure de 1873

Et vous n’avez jamais craint que l’on vous reprochât une forme de… moquerie à l’égard des personnes qui souffriraient d’obésité, disons le tout net, que l’on vous accusât de grossophobie ?

Mais pas du tout. Il ne nous viendrait jamais à l’esprit de nous moquer de celles et ceux qui pour des raisons médicales, génétiques, ou le plus souvent innocentes victimes d’une mauvaise alimentation, seraient atteints de surcharge pondérale.

D’ailleurs plus nombreux seraient les utilisateurs de nos postiches, plus les non-maigres se fondraient – si l’on peut dire – dans la masse.

Quand avez-vous prévu de lancer la commercialisation de cette nouvelle étonnante collection ? 

Nous avons organisé un lancement officiel – avec un défilé festif et un buffet géant confié à plusieurs de nos plus grands chefs étoilés – début novembre au Musée Galliera. Vous y serez bien sûr invitée… avec le gros de la presse.

Propos recueillis par Éléna Détrucq

 

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