Il y a bien sûr quelques artistes qui franchissent les frontières de leur champ disciplinaire d’origine, et il y en a même de plus en plus, ce qui est heureux, mais s’il en est un qui a amorcé de façon radicale ce phénomène, c’est bien David Bowie ! Il l’a fait plus tôt que la plupart, et avec un retentissement plus fort que tous. En cela, sa disparition est non seulement une tristesse individuelle, pour qui a aimé et suivi, même de loin en loin, la carrière de l’artiste, mais aussi un deuil collectif, celui d’une certaine façon de considérer la vie d’artiste elle-même comme un des beaux-arts.
S’il a régné près de cinquante ans sur la musique, comme un parrain reconnu aussi bien par Madonna que par Philip Glass, il a aussi affronté les plateaux de théâtre, livrant une interprétation d’anthologie d’Elephant Man durant 157 représentations à Broadway, au tournant des années 80, après avoir débuté sur le planches à la fin des années 60 suite à des études de l’art du mime avec Lindsay Kemp.
Le cinéma, bien sûr, fit appel à son physique si singulier et à son charisme. Depuis L’Homme qui venait d’ailleurs – un titre qui lui colla à la peau – jusqu’à un rôle mineur mais fulgurant dans Twin Peaks : Fire walk with me, Bowie impressionna la pellicule et les spectateurs dans Les Prédateurs, Furyo ou La Dernière tentation du Christ, montrant l’étendue bien réelle de sa palette de jeu. De Burroughs à George Orwell, en passant par Brecht, Bowie a fait connaître à ses fans des pans entiers de la littérature, en les citant ouvertement dans ses projets musicaux, toujours soucieux de rendre à César…
David Bowie était bien sûr très lié aux arts plastiques, expression entendue au sens large. Il a côtoyé certains des plus grands artistes de son temps, mais il s’est aussi sans cesse nourri au sein d’une acception très large de la culture, citant aussi bien Piero della Francesca que Francis Bacon. Comme un clin d’œil, c’est dans le film Basquiat, réalisé par un peintre, Julian Schnabel, que David Bowie interprète le rôle de… Andy Wahrol !
À son tour, juste retour des choses, Bowie a inspiré et continuera d’inspirer quantité d’artistes. On peut d’ores et déjà l’étudier comme un classique, et nul doute qu’il sera une référence majeure pour comprendre l’histoire des arts du XXème siècle. Mais si la mort de Bowie paraît à l’heure où l’on écrit ces lignes inconcevable, c’est qu’il personnifiait l’amour de l’art aussi bien que l’amour de la vie. David Bowie incarnait mieux que personne la fameuse phrase de Robert Filliou : “L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art.” C’est en cela que sa disparition nous laisse inconsolable.
Arnaud Laporte
À lire également : “Bowie, la vieillesse comme avatar”, par Éric Loret.
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