L’intérêt d’aller voir l’exposition « Dioramas » au Palais de Tokyo, à Paris, réside d’abord dans notre mécompréhension du sujet. On sait vaguement de quoi est fait l’objet – une saynète réaliste statique, un peu comme un tableau en trois dimensions qu’on aurait mis dans une boîte, derrière une vitre – mais il semble difficile de l’envisager en objet d’étude : un peu ringard peut-être, plus objet populaire qu’artistique.
C’est pourtant un moment passionnant auquel nous sommes ici conviés. D’abord parce que, tels les spectateurs des dioramas de Louis Daguerre montrés pour la première fois dans une salle de spectacle parisienne en 1922, nous sommes emmenés en territoire inconnu. Tantôt issu de problématiques scientifiques, de nécessités religieuses, ou strictement artistiques, ce dispositif de représentation surprend autant par la pluralité de ses sujets que de ses formes. De sorte que la balade proposée aborde des territoires bien plus complexes qu’on ne les imaginait, parfois poétiques, souvent déconcertants.
Réputé comme l’ancêtre du cinéma dans la mise en scène de Daguerre (de vastes compositions peintes, savamment éclairées pour donner l’illusion du mouvement), le diorama peut pourtant afficher une filiation remontant aux siècles précédents. Dès le XVIe siècle, dans un contexte de lutte contre le protestantisme, l’Église voit ainsi d’un œil favorable les reconstitutions en volume de scènes saintes. En mie de pain, soie, bois, papier, coquillages, on y montre l’Annonciation, on y donne les derniers sacrements, avec un soin réaliste qui reste la constante fondamentale du genre.
Plus tard, le religieux laisse place à la science, et la taxidermie redonne vie à l’animal. La mise en scène est à son comble quand il s’agit de figurer la puissance d’un félin ou d’un « voyageur ailé » : lion sautant sur sa proie, gueule ouverte et griffes sorties, ou encore albatros, ailes déployées en « roi de l’azur ».
Science toujours, l’ethnographie se saisit, autour de 1937, du diorama comme témoin des mœurs dans les lointaines colonies. Il est aussi un moyen de conservation des traditions de « nos campagnes ». Bouleversé par une première guerre totale, le monde occidental a besoin de repères. Comme le banquier voyageur Albert Kahn, qui initia des voyages d’observation et de collecte dans quelque soixante pays dès le début du siècle, des brigades d’enquêteurs mandatés par le musée des Arts et des Traditions populaires recueillent dans les provinces françaises des outils, vêtements, objets du quotidien, mis en scène dans des saynètes à vocation pédagogique et d’archivage.
Donner l’illusion du réalisme : tel semble être le défi commun aux créateurs de dioramas. Mais quand les religieux et scientifiques mettent la tridimension au service de « leur cause », l’artiste, lui, va y trouver un formidable outil pour bouger les frontières, souffler l’émoi, la réflexion. C’est le cas dès Daguerre, dans sa salle du dixième arrondissement parisien, qui suggère l’illusion d’une image mouvante, d’un temps qui passe, d’un ailleurs.
Richard Baquié, lui, propose sa propre mise en scène de l’installation qui occupa Marcel Duchamp durant vingt ans, Étant donnés : 1. la chute d’eau, 2. le gaz d’éclairage (1946-1966). Pour rappel, cette œuvre du père du ready-made présente le corps d’une femme dénudée visible au travers de trous dans une porte de bois, dans un ensemble complexe de détails (fond, choix des matériaux, du positionnement de la femme, etc.). Encore abondamment commentée, Étant donnés… pose la question du voyeurisme dans l’art, de la distance entre l’objet et celui qui le regarde. En en donnant sa Réplique (1991), Richard Baquié reformule à sa façon toutes ces questions en mettant à jour les entrailles de l’oeuvre ainsi que les détailla Duchamp dans ses cahiers. Nous sommes ainsi conviés à regarder l’installation en soi, mais aussi à la contextualiser techniquement et artistiquement en en découvrant les coulisses.
Au XXIe siècle, la rêverie laisse la place à une violence du propos sur la représentation de l’environnement de l’homme – le sujet même du diorama depuis ses débuts. Urbanisation galopante, pollution… Le monde de Mark Dion ou Isa Genzken s’abîme et plonge dans un avenir sombre. Et il faudra bien le spectacle d’un jeune couple s’embrassant devant un paysage peint, contemplé par des animaux (Dulce Pinzón, Nostalgia, 2011), pour sortir de ce diorama muséal dans un soupçon de légèreté.
Stéphanie Estournet
Arts plastiques
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« Dioramas », au Palais de Tokyo jusqu’au 10 septembre.
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