Qu’est-ce qui disparaît quand un artiste meurt ? C’est en pensant à Luc Bondy que cette question m’est venue. Mais la réponse est bien sûr très différente selon le type d’art que l’on pratique.
Si un écrivain, un cinéaste ou un peintre voient leurs œuvres leur survivre, il n’en va pas de même pour tous les artistes. Et encore, la question de la préservation et de la restauration des œuvres d’art soulève régulièrement des polémiques, car le retour à l’état original relève du mythe, et l’on peut légitimement être décontenancé devant la Sainte-Anne de Léonard dont les couleurs éclatent désormais, après quinze mois de restauration, tout comme devant l’énième version “définitive” du Metropolis de Fritz Lang.
Un compositeur a bien sûr l’occasion de publier ses partitions, mais il n’est qu’à constater les différentes interprétations d’une même œuvre pour se rendre à l’évidence que l’interprétation est une œuvre en soi. On peut collectionner sans fin les différentes versions des Variations Goldberg ou des Suites pour violoncelle de Bach, car on n’aura jamais le même sentiment à leur écoute, et jamais, non plus, la même durée. Dès lors, on peut s’intéresser aux interprètes et dire que l’enregistrement de disques leur survivra, comme le prouve le fait que l’on se réfère par exemple toujours à Alfred Cortot pour Chopin ou à Arthur Brendel pour Schubert.
Qu’en est-il des comédiens et des danseurs ? Si le cinéma fige une fois pour toutes l’interprétation d’un rôle, le théâtre et la danse posent un problème bien différent, puisqu’il s’agit au contraire de tout “rejouer” à chaque fois. Restent les captations de spectacles, qui ne nous laissent la trace que d’une seule proposition parmi toutes les autres.
Reste aussi le cas des metteurs en scène et des chorégraphes, sujet qui a initié ce Bentô. Luc Bondy disparu, que reste-t-il de son travail ? Et de celui de Patrice Chéreau ? De Klaus Michael Gruber ? De Pina Bausch ? D’Antoine Vitez ? Des captations, là encore, parfois, et le sentiment, pour celles et ceux qui n’ont pas assisté aux représentations, d’apercevoir quelque chose de leur art. Mais la réalisation, le montage, les valeurs de plans sont toujours autant de trahisons pour le metteur en scène, quand bien même celui-ci aurait supervisé la réalisation de la captation. L’art de la mise en scène s’apprécie pleinement dans un fauteuil de théâtre, et nulle part ailleurs.
Pour autant, je reste un fervent défenseur des captations de spectacle, aussi imparfaites soient-elles car, malgré tout, quelque chose demeure de cet art de l’instant qu’est celui de la mise en scène. Et cela reste toujours mieux que…rien !
Arnaud Laporte
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