Le coup du manuscrit retrouvé au fond d’une malle marche toujours. En l’occurrence, le scénario inédit – et improbable – d’un film sur don Quichotte que Métilde Weyergans et Samuel Hercule, les animateurs de La Cordonnerie (c’est le nom de leur compagnie fondée en 1997) assurent avoir déniché dans un vide-grenier alors qu’ils étaient en panne d’inspiration pour un nouveau projet. De ce scénario, ils ont fait un film qui est au cœur de leur spectacle selon un procédé dont ils sont coutumiers : les images projetées sont accompagnées d’une création musicale, et la bande-son (bruitages et dialogues) est réinterprétée en direct par des comédiens – qui ne sont pas tous ceux du film.
À leur répertoire, ils comptent des classiques du théâtre (Hamlet), de la littérature (Frankenstein) ou du conte (Ali Baba, Hansel et Gretel, Blanche Neige...).
Œuvrant à la lisière du cinéma et du théâtre, leur approche est clairement artisanale. On peut même les soupçonner d’en rajouter dans une forme de maladresse, leurs images (éclairages sommaires, cadrages tremblés…) renvoyant plus au Super 8 d’antan qu’à l’asepsie numérisée. Quant au bruitage, il fait appel à un bric-à-brac d’objets (jouets cassés, roues de bicyclettes, ustensiles rouillés…) sorti lui aussi du vide grenier, le tout produisant des sons évocateurs à défaut d’être ressemblants.
L’histoire n’est guère plus léchée. Michel Alonzo est un personnage – une « triste figure » – occupé à numériser le fond de la bibliothèque municipale où il est employé, quelque part en Picardie. Nous sommes en 1999, à l’approche du bug de l’an 2000. Michel a une collègue de travail, plus jeune et plus expansive. Un troisième employé s’occupe de la maintenance et du ménage. Michel vit seul dans un petit pavillon, se déplace à bicyclette, ne livre jamais rien de lui-même (on sait juste qu’il a un passé de soixante-huitard). Parmi les usagers de la bibliothèque, une femme qui passe en coup de vent ramener un exemplaire de Don Quichotte, et dont la fiche mentionne qu’elle est « médecin psychiatre ».
Tout bascule la nuit du 31 décembre 1999. Le bug se produit, mais c’est le bibliothécaire qui en est la victime. Il se réveille dans la peau de Don Quichotte, quelque part dans un paysage désertique, aux côtés d’un Sancho Pança qui ressemble beaucoup à l’agent d’entretien. Mais la virée espagnole n’est qu’un mirage, les cailloux ocres laissent vite la place aux champs de pommes de terre, cheval et âne se transforment en bicyclettes sur lesquelles don Quichotte et Sancho battent la campagne, entre éoliennes et ligne TGV (mention spéciale pour le bruitage du TGV).
Deux clodos attachants, entre mélancolie, folie douce et coups de sang. Une fable simple mais pas simpliste, avec des personnages plus étranges ou contradictoires que prévu ; Dulcinée, la psychiatre, n’est pas la figure bienveillante attendue ; machiavéliques mais étonnants, le maire et son épouse embarquent don Quichotte au théâtre plutôt qu’à l’asile. Et même si l’histoire finit par retomber sur ses pieds et si, descendu de son vélo, don Quichotte se retrouve bel et bien interné, sa fantaisie demeure inentamée.
René Solis
Théâtre
Dans la peau de don Quichotte, ciné-spectacle de Métilde Weyergans et Samuel Hercule (texte, réalisation, mise en scène) d‘après l’oeuvre de Cervantès. Musique originale Timothée Jolly et Mathieu Ogier. Avec Philippe Vincenot, Samuel Hercule, Métilde Weyergans, Timothée Jolly, Mathieu Ogier. Le spectacle est joué au Nouveau théâtre de Montreuil jusqu’au 10 février 2018, les 27 et 28 février au Théâtre de Villefranche-sur-Saône, les 7 et 8 mars au Granit, scène nationale de Belfort, du 13 au 15 mars aux 2 scènes, scène nationale de Besançon / Théâtre Ledoux, du 4 au 6 avril à la Comédie de Caen, les 10 et 11 avril à la Maison de la Culture de Bourges, du 4 au 6 mai au Théâtre Am Stram Gram (Genève), du 15 au 19 mai au Théâtre de la Croix Rousse à Lyon, le 25 mai à L’Apostrophe, scène nationale Cergy-Pontoise et Val d’Oise, du 1er au 9 juin au Théâtre de la Ville / Théâtre des Abbesses à Paris.
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