La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Les ors de Monster President
| 07 Fév 2017

Anne Toulouse, Dans la peau de Donald Trump, Stock, 2016Chercher des poux dans la moumoute jaune pisseux du Narcisse trumpesque sous l’angle des arts appliqués – graphisme, mode, architecture, design et cuisine – peut sembler frivole. Ou faire trop d’honneur à un homme qui manie la langue de manière si prévenante avec les femmes – « Les attraper par la chatte ». Mais son style, désesthétisant voire toxique, semble tellement en osmose avec la laideur du monde machiste, nationaliste, raciste de ce magnat de l’immobilier qu’il est tentant de faire l’inventaire rapide de ses « ors » de vivre, exhibés avec jouissance. Sans oublier que cet apparent Donald le Dingo a capté l’air du temps américain, qu’il est (encore) populaire pour la moitié des Américains. Anne Toulouse, journaliste, écrit dans son livre Dans la tête de Donald Trump (Stock) : « Arrive le Donald comme un bison dans la prairie, comme un taureau dans un rodéo, comme le sheriff dans un western. Une partie de l’Amérique, celle qui a le sentiment d’avoir fait ce pays, a retrouvé ses marques ! ».  Si on reste pantois devant son monde surréel, sachons que faire le listing atrocement vulgaire et outrancier de cet « art de vivre », c’est aussi dresser les goûts dominants ou fascinés de ses nombreux électeurs qui adoubent son opulence. Qui n’y voient là aucune « trumperie ». Mais « Make America great again ! ».  

Son gros corps-logo

En haut de son corps massif de bouledogue de 70 ans, se dessine sa chevelure (ou moumoute?) jaune poussin et duveteuse (qu’il aime), repeinturlurée chaque jour. Prolongée par une invraisemblable mèche au vent (de mèche avec Hitler ?) fixée avec du spray CHI Helmet Head Extra Firm. Est-ce le cache misère d’une opération de chirurgie esthétique, comme le suggère Anne Toulouse dans son livre ? Son teint est savamment orangé, sa bouche pincée, son costume noir est casual, sa chemise blanche de premier communiant, sa cravate, satinée, rouge le plus souvent (il n’aime pas le rouge pourtant ?), est volontairement trop longue. Elle vole en dessous de la ceinture et sert de flèche orientée vers son sexe. (Il porte les cravates de sa marque -parfois rose dragée satinées, aucune excuse- fabriquées en Chine…). Sa silhouette-logo décoiffe tout présidentialisme. Graphique, sa panoplie est identifiée, abondamment caricaturée (en Pig Anus, bébé colérique, Trumpenstein) entre rigolade et dégoût. Un faisan doré chinois du zoo de Hangzhou se prend même pour son sosie. Pas de tentation fashion chic contemporain chez ce mâle gras dominant, mais le cash sans chichis d’un faux parvenu provoc, volontairement plouc et négligé. Du self made Trump populiste et Américain moyen bien étudié.

Son porte-manteau Melania

Sa troisième épouse, Melania Trump, née Knauss en 1970 à Sevnica, est d’origine slovène.  Aujourd’hui, cette ex-mannequin pourrait-t-elle débarquer aux États-Unis comme elle le fit en 1996 ? Lors de l’investiture, la nouvelle first lady de 46 ans (« Où est mon top model ? » crie son misogyne de mari), a remballé ses seins, ses bikinis argentés et ses tenues bling bling pour un look collet-monté, évoquant l’élégance des années 60 Jackie Kennedy. Sa robe à col montant bleu ciel, assortie à une veste courte drapée, signée Ralph Lauren, est épurée. Juste quelques puces en diamants… Lors du bal, elle portait une robe ivoire sobre, d’Hervé Pierre. Elle s’affiche (ou il l’affiche ?) en contrepoison distingué de la dégaine porcine de son mari. Le monde de la mode, en émoi, hésite entre boycott politique de la dame (Marc Jacobs et Tom Ford) ou allégeance nationaliste ou opportuniste (Stefano Gabbana ?). François-Henri Pinault, le PDG de Kering (Saint-Laurent, Gucci, Puma…), vient de prendre position contre le muslim ban : « Au moment où la diversité est en jeu, je veux réaffirmer à quel point cette valeur est cruciale pour Kering et pour moi. La diversité d’origine, d’opinion et de croyance fait partie de notre identité et de notre succès ». Le PDG du groupe LVMH, Bernard Arnault, avait lui rendu visite à Trump à New York avant son investiture. Le PDG de Nike, Mark Parker, a déclaré : « Nike s’engage contre la bigoterie et toute forme de discrimination ».

Cette famille aux cheveux blonds dorés est peuplée d’anciens-mannequins. De l’ex-épouse Ivana, robes fourreaux satinés et icône de la jet set, à la fille Ivanka, femme d’affaires diplômée dans l’entreprise familiale, conseillère du père, vendeuse de bijoux et qui a créé sa propre ligne d’articles de mode. Qui va mener la fashion saga de Trump ? Lui ! Sa dernière trouvaille de début février, imposer un dress code  à la Maison Blanche. Selon le site Axio, il exhorte ses collaboratrices à s’habiller « comme des femmes », comprendre, à porter des robes. Aux hommes, il demande d’exhiber des cravates, larges, et il conseillerait « plutôt des Armani ».

Sa Tower, tout-et-n’importe-quoi

La première grande réalisation de Donald Trump fut la transformation, en 1978, du Commodore Hotel en Hôtel Grand Hyatt. Mais, on le sait, l’icône de la puissance, du pouvoir phallique, c’est la tour. Pas étonnant que ce bad boy doré, qui a hérité à 33 ans du parc immobilier de son père et bénéficié de ses prêts, lance vraiment son ascension avec la Trump Tower de New York, 58 étages, 202 mètres de haut, située au 735 de la mythique et chic Cinquième Avenue. Avec vue sur Central Park. Elle a remplacé le grand magasin Bonwit Teller, Art Déco, qu’il a fait raser, pas de quartier pour le passé. Pour le premier symbole de son empire, il a fait appel à Der Scutt, du cabinet Swanke Hayden Connell, architecte américain moderniste. La façade du gratte-ciel, livré en 1983 n’est guère minimale, elle est composée de vastes pans de verre couleur bronze, tout en reflets, en éventail. Des « zigzags et interruptions » qui donnent une allure « trop nerveuse, presque hyperactive », tranche à l’époque le critique Paul Goldberger du New Yorker. L’atrium de cinq étages est recouvert du sol au plafond de Breccia Pernice, marbre italien rosé à veines blanches, enrichi d’huisseries en laiton poli. Ada Louise Huxtable, de la revue The New Criterion, ne goûte guère ce « maelstrom de marbre rose et de faste coûteux que ne rattrape pas son décor de toilettes pour dames chics ». La tour n’est pas saluée par la critique, car elle détruit l’ambiance tout en pierres de l’Avenue.

Ses Taj Mahal ubuesques 

Ce style plus ou moins clinquant se retrouve dans les autres édifices de ce bâtisseur ogre : les tours World, Trump Parc et Soho à New York, celles de Chicago, Toronto, Las Vegas toute dorée. Pour Norval White & Elliot Willensky, auteurs d’un guide de référence de l’architecture new-yorkaise, cités dans Le courrier de l’architecte, Donald Trump a livré « du Trump tout-et-n’importe-quoi […] Son esthétique est, quoi qu’il en soit, plus proche d’une bonne grosse bière que d’un Veuve Clicquot ».

Il investit aussi dans le divertissement, les hôtels, les casinos, les terrains de golf. À Atlantic City, l’hôtel, la Marina et le Taj Mahal, le plus grand casino du monde, tapageur et kitch, ont fermé pour faillite, entrainant la perte de 3000 emplois dans une ville en banqueroute. Il n’y pas que des success stories chez ce faux self made man. La compagnie aérienne low cost Eastern Air Shuttle qu’il a racheté en 1988 a fait plouf. Il a apposé son nom sur les appareils, apporté des détails luxueux à l’intérieur des avions : placage en bois d’érable, loquet de ceinture de sécurité chromé, dorures dans les toilettes… Mais les tarifs ne seront pas du goût des clients. Le candidat, collectionneur de casseroles, adepte de la post-vérité et du bullshitting a déclaré lors de sa campagne : « Il y a sept ans, j’ai quitté Atlantic City avant que la ville ne fasse naufrage. J’ai gagné beaucoup d’argent à Atlantic City et j’en suis très fier ». Trump affirme qu’il vaut 10 milliards de dollars. Le magazine Forbes estime sa fortune à « seulement » 4,5 milliards de dollars (environ 4 milliards d’euros).

Sa vitrine multi-usages

L’architecture sert le culte du tycoon, les enseignes Trump qui signent les immeubles sont ultra-polluantes, comme « des incursions commerciales inappropriées, aussi subtiles que Godzilla », a écrit Blair Kamin, du Chicago Tribune. La Trump Tower de Manhattan est le podium de ce roi de la télé-réalité. Celle qui a été tour à tour héroïne de cinéma (SOS Fan), de jeux vidéo (Liberty City) et de télé (son émission The Apprentice, NBC), a abrité des célébrités, Michael Jackson, Bruce Willis et Beyoncé… Accessible au public jusqu’à 22 heures, elle attire touristes et supporters, qui se bousculent au bar Trump (telle Marine Le Pen), au café, au restaurant, au magasin de souvenirs, où l’on trouve des chemises, des cravates, des boutons de manchettes, des parfums, des livres « écrits » par Trump. Toucher la grande horloge sur le trottoir de l’entrée porterait chance pour devenir riche. C’est de ce siège boursouflé que Donald Trump a annoncé sa candidature le 16 juin 2015. Il l’a transformé en haut QG de campagne. La voici après son élection transformée en rendez-vous de protestation anti-Trump.

Son penthouse, son miroir

Quatre ascenseurs dorés, mondialement filmés, donnent accès aux derniers étages de la Tower. Un autre conduit directement au penthouse (numéroté  68, il n’y a que 58 étages). C’est un luxueux triplex de 3000 mètres carrés (estimé en 2016 à 100 millions de dollars). Différents visiteurs racontent que la porte d’entrée serait composée d’or et de diamants, que l’appartement accueille des colonnes en marbre avec des moulures dorées à la feuille 24 carats, des scènes de la mythologie grecque sont représentées au plafond… Au fond d’une grande pièce de réception parsemée de vases grecs, une statue d’Eros et Psyché. Exhibition des portraits de famille aux cadres dorés, en habits de strass. La décoration a été réalisée par Angelo Donghia, dans un style Louis XIV. L’épouse Ivana y aurait mis sa patte en couvrant le hall d’accueil de fontaines. « Un véritable petit-Versailles », selon le Daily Mail.

L’avion privé du magnat abuse de la même touch. Tous les coussins sont marqués aux armes de la famille Trump, inspirées par les origines écossaises que le milliardaire revendique. Les ceintures des sièges sont en plaqué or 24 carats, de même que la robinetterie de la salle de bain. Alors, que dire de son style ? Assurément « trumpier » (comme pompier), c’est à dire indécrottablement pompeux. Passéiste, vieillot, avec une orgie de dorures, de rosé, d’orange, de couches de paillettes, de cristal. Du lupanar glamour entre Las Vegas et Roi Soleil.

Sa Maison Blanche passée à la dorure

L’obsession de Donald Trump pour tout ce qui brille l’a poussé à très rapidement modifier le Bureau ovale de la Maison blanche. Dès le 20 janvier, les rideaux pourpres (Trump déteste le rouge, alors la cravate ?) de son prédécesseur sont apparus d’un jaune doré sur les photos du « Président » en train de signer son premier décret. Le buste de Winston Churchill a aussi remplacé celui de Martin Luther King, que Barack Obama avait installé. Et ce n’est sans doute pas fini.

Son arrière-cuisine trash food

Côté affaires, ses marques de vodka – « Super Premium » vendue comme « le succès distillé » – et de viande – « Trump Steak » – ont été un flop. Mais côté vins, le millionnaire a racheté en 2011 des vignes plus juteuses à Monticello (Virginie). C’est son fils Eric qui dirige le domaine. Au choix, du Blanc de Blanc 2009 effervescent, médaille d’or au concours de San Francisco, ou du « Cab Sauv 2015 », « du bon vin » pour David Haeberli, dégustateur du Figaro. Mais le Cru Royal, du blanc pétillant, serait « trop sucré ». Trump n’en sait rien, il ne s’arsouille qu’au Pepsi Diet, et affirme ne pas boire. S’il est en surpoids, il se justifie : « C’est difficile quand on fait campagne, il n’y a que du fast-food ».

Tom Sietsema, critique gastronomique au Washington Post, informe que Trump-le-Gras adore les Oreos, le Coca light, les pâtes, les patates, le « meatloaf », les Big Mac, les bonbons, la glace à la vanille et à la cerise… Il « mange comme un adolescent ». Son fils Darren a déclaré que son père « n’est pas le type qui met un smoking et mange du caviar. Il est le genre de gars à manger des burgers et des pizzas ». Comme la majorité de ses électeurs. Anti-écolos et candidats à l’obésité ? Celui qui tacle la communauté hispanique et les Mexicains s’est mis en scène, démago, avalant un taco bowl, « le meilleur se trouve au grill de la Trump Tower », a-t-il affirmé. « J’adore les hispaniques ! » Mais la journaliste Tina Nguyen de Vanity Fair avait laminé son restaurant, « potentiellement le pire restaurant d’Amérique », affligeant de la décoration aux plats.

Le Gorafi peut bien fictionner que la première décision de Président Donald serait d’avoir des chips à sa disposition à tout moment dans la Maison-Blanche. Pour cela, il aurait engagé un assistant indispensable, Todd, pour lui essuyer les doigts à longueur de journée… Ce qui est sûr c’est qu’il y aura du steack et du meatloaf au siège de la présidence ! À moins que… Melania Trump a choqué en faisant la Une du Vanity Fair mexicain, attablée devant une plâtrée de bijoux, enroulant un collier autour de sa fourchette comme un spaghetti !

Ses oppositions bien architecturées 

Les femmes, les médias, les universités, un psychiatre… Pas un jour sans une réaction horrifiée et active à l’élection de Trump. Nombre d’architectes, dont le travail est forcément au carrefour de la politique et de l’économie, ont du mal à digérer son investiture. 276 d’entre eux ont adressé une lettre au Monster Président pour, à l’heure du changement climatique qu’il nie, défendre une économie américaine propre, refusant les intérêts privés dans l’architecture. Afin de démontrer l’horreur et l’absurdité du mur anti-immigration à la frontière américano-mexicaine, le cabinet Estudio 3.14, basé à Guadalajara, a réalisé de façon virtuelle « The Prison Wall », critique acide de ce projet fou, poussé à son paroxysme, telle une frontière-prison où les immigrants illégaux seraient détenus pour financer le mur. Le cabinet New World Design Ltd a conçu une installation très drôle où des porcs d’or flottent devant la façade de la Trump Tower de Chicago, dissimulant son nom trop envahissant.

Pig Trump, qui veut être l’homme le plus puissant de la terre, déteste les mauvaises critiques d’architecture. En 1984, il a poursuivi Paul Gapp, du Chicago Tribune, lui réclamant 500 millions de dollars pour avoir qualifié une tour de 150 étages à New York « d’architecture en quête de records du monde ». Est-ce un bon plan d’être architecte du Donald ? Der Scutt pour la Trump Tower, Francis X. Dumont, pour le Trump Taj Mahal, ont vu leurs carrières trumpisées. Andrew Tesoro a été plus malchanceux, pour le club house du Trump National Golf Club. D’après Le courrier de l’architecte, il a bien envoyé sa facture à Trump. Mais sur les 140 000 dollars d’honoraires estimés, il n’en aurait perçu que 25 000. 

Anne-Marie Fèvre
délibérément… Trump

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