Si l’on va voir Les Français, le spectacle de Krzysztof Warlikowski, en s’attendant à voir une adaptation fidèle de À la recherche du temps perdu, de Marcel Proust, c’est qu’on aura été mal renseigné, ou que l’on ne connait pas encore le travail du metteur en scène polonais. Comme à son habitude, depuis (A)pollonia, Warlikowski est allé puiser chez Proust ce qui fait écho à ses propres interrogations, à savoir l’antisémitisme, l’homosexualité, la décadence d’une société. Tout cela se trouve en effet dans les sept tomes de La Recherche. On pourra ici objecter qu’il n’y a pas que cela dans La Recherche. Bien sûr, mais c’est sur ces aspects là que le metteur en scène a voulu placer sa loupe, grandissant par son choix la place de ces thèmes dans son spectacle. Pour autant, c’est bien l’esprit de La Recherche qui est présent dans ce spectacle, un extrait, au sens du parfum, et c’est un parfum aux relents amers, aigres, en voie de putréfaction, qui est ici proposé aux spectateurs. Le spectacle est donné ce week-end à la Comédie de Reims, avant une tournée qui passe par Genève et Tarbes, et le Théâtre national de Chaillot à Paris en novembre.
D’une toute autre manière, Dorian Rossel propose, avec Je me mets au milieu mais laissez-moi dormir, une adaptation in extenso du scénario de Jean Eustache pour La maman et la putain. On remarquera que d’un film de 3h40, le metteur en scène suisse fait un spectacle d’une heure et demie à peine, actuellement à l’affiche du Théâtre du Rond-Point à Paris. Comment ? En proposant une version toute différente de la même partition, avec pour changement principal le tempo, beaucoup plus rapide ici que dans le film d’Eustache. La qualité des interprètes est essentielle, car il ne s’agit pas d’imiter le film, d’imiter le phrasé de ses interprètes, mais tout est là pourtant, drôlerie et profondeur, questions existentielles et critique sociale, et l’on se dit au passage que l’on n’a pas beaucoup avancé sur la question du couple, depuis quarante-cinq ans. Formellement, le travail sur l’espace et sur l’enchaînement de séquences est très précis, très fin, très efficace, et permet de pleinement entendre ce qui se dit, alors même que quantité de metteurs en scène et d’interprètes ne nous font rien entendre de ce qu’ils jouent. Car il y a une progression dans le jeu, au cours de cette heure et demie, qui commence par des dialogues donnés presque “à plat”, sans intention, et qui se chargent peu à peu d’émotions, de sensations. Cela est fait là encore en douceur, en finesse, et amène à un final vraiment très fort, surtout si l’on connait ou se souvient de l’importance du monologue final de Veronica.
Dans les deux cas, la fidélité est totale, alors même que la “trahison” est évidente. La fidélité n’est donc pas une question de respect d’une intégrité fantasmée, mais une question d’intelligence de lecture, d’appréhension d’une œuvre.
Il en va de même pour les rétrospectives, comme celles consacrées en ce moment, ou à venir, à Anselm Kiefer ou à Gérard Fromanger, toutes deux présentées au Centre Pompidou. Qui attendrait de voir toute l’œuvre d’un plasticien dans une rétrospective ? Cela n’aurait pas de sens, à moins de réunir la trentaine de toiles, seulement, peintes par Vermeer – ce qui hélas ne risque pas d’arriver. On attend bien d’une rétrospective qu’elle nous donne accès à l’essence d’une œuvre, ou d’un parcours, y compris en en montrant les périodes plus faibles, ou les œuvres de jeunesse.
Les œuvres de jeunesse, ce sera justement le sujet de mon prochain Bentô.
Arnaud Laporte
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