Des ordonnances littéraires destinées à des patients choisis en toute liberté et qui n’ont en commun que le fait de n’avoir rien demandé.
M. Boris Ravignon, premier édile carolomacérien et disciple sarkozien, n’est pas content et tient à le faire savoir car, si le silence est d’or, la parole, elle, est électoraliste. M. Ravignon estime ainsi, dans un communiqué en date du 24 octobre, que “la France ne peut accueillir tous les migrants qui viennent à se trouver sur notre territoire” [1]. Or, le gouvernement lui a demandé de les accueillir. Pas tous, certes. Mais 50. 50 “migrants” pour une ville en baisse démographique constante, qui compte néanmoins 48 991 habitants (2013), c’est 50 de trop.
D’autant que (attention, lancer du boomerang) “pour la majorité d’entre eux, comme pour les migrants de Calais, le motif de leur présence est d’ordre économique”. Sans Syrie, sans souci, donc. Cher.e.s ami.e.s, pensez à réserver vos vacances d’été dans les hôtels de charme soudanais avant que ce petit havre de paix ne soit pris d’assaut par des Gaulois en mal de soleil pas cher. Et il a d’autres préoccupations, M. le Maire. Il se demande comment sa ville pourrait “accueillir ces personnes, qui viennent chercher en France un emploi, une situation, un logement” (attention, retour du boomerang) “alors que nous sommes déjà incapables d’en fournir un à chacun de nos concitoyens ?”
On ne s’étonnera plus qu’un élu propre sur lui et énarque (ou inversement) use ainsi d’une rhétorique si subtile et totalement inédite, son homologue M. Ménard et tant d’autres sont passés par là avant lui. Non, le problème, c’est qu’il a des admirateurs, M. le Maire, bien décidés à lui exprimer leur soutien en des termes légèrement moins policés, sans que le bailli n’y trouve visiblement rien à redire.
Ainsi, sur la très publique et très officielle page internet de soutien à M. Ravignon, un administré attentif s’étonne d’avoir vu “à la télé des réfugiés soudanais alors qu’on [leur] fait croire à des Syriens qui ont fui leur pays à cause de la guerre chez eux” [2]. D’autres s’érigent en nouveaux hérauts des préoccupations sociales et dénoncent, plus ou moins subtilement, l’offense faite à nos pauvres-adorés-à-nous, et on fait quoi, hein, pour nos-pauvres-à-nous, surtout qu’il y en a, des pauvres, dans les Ardennes, vous comprenez.
Alors à M. Ravignon et à sa horde, je préconise d’urgence la lecture du “road-movie” graphique à large spectre de Fabcaro : Zaï Zaï Zaï Zaï.
Le postulat de ce chef-d’œuvre en 72 pages bichromatiques pourrait sembler absurde, même à nos patients : un dessinateur de bande dessinée oublie un jour sa carte de fidélité de supermarché, doit en conséquence fuir, devient l’ennemi public numéro 1 et déclenche l’implacable mécanisme politique, social et médiatique qui nous est depuis trop longtemps déjà si familier.
M. Ravignon et ses si charmants sympathisants y trouveront un plaidoyer, férocement actuel, pour la tolérance (pardon pour le gros mot). Certain.e.s se reconnaîtront dans cet automobiliste qui refuse de prendre en stop le fuyard, n’ayant aucune difficulté à avouer être trop individualiste pour être généreux. D’autres, qui craignent par exemple que les “migrants” ne viennent “violer [leurs] enfants ou même des choses pires (sic)” pourraient voir comme un miroir cette planche où une mère s’inquiète pour la sécurité de son fils, Jean-Kévin, qui pourrait se retrouver “séquestré dans une cave, avec des objets dans les fesses […] des bouteilles de Perrier, par exemple”. Devant le fugitif contraint de gagner la Lozère où on ne “capte ni télé ni radio”, alors que la police cherche quelqu’un qui sache “parler lozérien” pour le traquer in situ, tou.te.s devraient en tout cas avoir un élan de compassion pour les 50 malheureux “migrants” qui, au lieu de goûter à la douceur de la Bretagne ou de la Provence, ont échoué dans les Ardennes.
Quant aux quelques valeureux, suffisamment patients ou naïfs, pour tenter de ramener M. le Maire et ses commenthaters à une certaine idée de la solidarité, Fabcaro offre une séquence disneyenne au bout de l’absurde, où son double de fiction, assis dans la forêt, devise sur l’humanité, d’abord seul puis peu à peu entouré d’animaux, avant de rêver à haute voix d’“un monde où on ne serait pas un étranger mais un frère à qui l’on tend la main dans un idéal de paix ?”… devant un cerf, un lapin mais aussi un rhinocéros, une autruche ou un dauphin.
À la fin de sa cavale, dont nous tairons l’issue pour ne pas trahir le suspense insoutenable qui traverse l’œuvre, le héros-malgré-lui s’exclame : “Vous savez quoi ? Je crois qu’on se complique trop la vie…Tout ça est une grande farce tragique…En fait, rien n’est sérieux.”
Rira bien qui rira le dernier.
Katell Brestic
Ordonnances littéraires
[1] Le communiqué et l’ensemble des commentaires cités ici sont issus de la page Facebook “Tous avec Boris Ravignon”, à la date du 24 octobre.
[2] Orthographe, syntaxe et grammaire ont été corrigés pour faciliter la lecture.
Fabcaro, Zaï Zaï Zaï Zaï, éd. Six Pieds sous terre, collection montrème [mini]
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