À l’heure où délibéré, la revue qui fait des choix délibérés, s’apprête à publier un article sur la prodigieuse galaxie du manchot, il semble judicieux de prolonger cette aventure galactique, et de se pencher sur le destin de l’un des plus illustres astrophysiciens du XXe siècle. Bref, il fallait encore que je vous parle de ce type-là sur la photo qui grimace. Et non, il ne s’agit pas d’un émule de Grock ! Cezigue, il s’appelait Fritz Zwicky (1898–1974) et il était astrophysicien, et sûrement l’un des meilleurs…
Il est né en Bulgarie, y a passé sa prime enfance, avant de découvrir le pays de ses aïeux dans le canton de Glaris chez son bon papi et sa bonne mamie (« Allez Opi, Omi! »). Il a par la suite étudié à l’école polytechnique de Zurich avant d’effectuer la majeure partie de sa carrière à Pasadena en Californie : un vrai scientifique suisse soucieux de bien faire. Car ce type, voyez-vous, était un vrai génie qui a publié plus de 500 articles scientifiques de son vivant de son plein gré de son bureau, c’est dire !
On a aussi dit de lui que c’est l’homme qui a vraiment changé notre façon de voir l’univers, alors qu’il suffisait de regarder plus loin que le doigt du sage tendu vers les étoiles. Mais asteur, vous vous demandez peut-être quelles sont ses principales contributions à l’astrophysique, à la cosmologie, à l’astronomie, n’est-ce pas ? Alors, tenez-vous bien.
Gruyère et matière noire
En 1929, Fritz Zwicky découvre que les étoiles, après avoir brillé pendant des éons, peuvent exploser et puis mourir – rien que ça ! et qu’elles n’ont pas besoin de se cacher pour ce faire. Cette macabre découverte s’avérera heuristique car elle mènera plus tard d’autres savants sur la piste des naines blanches, des trous noirs, et des pulsars aussi, et pas l’inverse.
En 1933, Fritz Zwicky formule l’hypothèse, en contemplant un morceau de gruyère posé sur son bureau, que certains amas d’étoiles contiennent certainement plus de matière que ne le suggère leur luminosité apparente. Il baptise ce trop-plein la « matière noire » (Dunkle Materie), pour le gruyère on dit simplement un trou. Or comme la matière noire est indétectable, Fritz Zwicky énonce qu’elle se révèle indirectement par l’attraction gravitationnelle qu’elle exerce sur les objets stellaires à proximité, les galaxies notamment. Attention à ne pas confondre un morceau de gruyère avec un aimant-al !
Aujourd’hui on le sait, ce concept de « matière noire » est fondamental, mais il va longtemps demeurer inaperçu par la communauté scientifique – si c’est pas malheureux ! Il faudra attendre – en gros – une quarantaine d’années pour que la théorie de Fritz Zwicky sur la « matière noire » soit enfin reconnue, confirmée et portée aux nues. En attendant les gens ont continué à bouffer du gruyère et à grossir sans comprendre pourquoi… Maintenant, reconnue comme essentielle, la « matière noire » est partout invisible et on ne propose plus de régime à base de gruyère.
Compilation intergalactique
Mais notre zigue ne s’arrête pas là. En 1934, il établit avec son pote Walter Baade les critères permettant de distinguer les novae des supernovae – et ouais ! – , puis, l’année suivante, il postule même l’existence des étoiles à neutron – et toc ! Après ça, perturbé par un tenace fumet d’Appenzeller dans son bureau à la fac, comme Archimède dans son bain le fut par un canard en plastique, il réalise brusquement que les ondes gravitationnelles, c’est pas du pipeau, et même qu’un jour l’homme et la femme seront capables de les mesurer ensemble. Ce prodige n’eut lieu qu’en 2016. D’une part, nous voilà bien avancés, et, d’autre part Fritz Zwicky était mort depuis longtemps, enterré qu’il était au fond d’un trou, mais pas de gruyère.
Enfin, à l’aube de la retraite, Fritz Zwicky trouve encore le moyen de rester inventif et dresse un catalogue photographique des galaxies (Catalogue of Galaxies and of Clusters of Galaxies, CGCG), lequel contient 9134 amas galactiques sans aucun panneau gauche – et ça il fallait oser ! Nul doute qu’il aurait adoré ajouter à sa collection la galaxie du manchot s’il l’avait connue, s’il avait disposé de moyens d’observation suffisamment efficaces autrement dit… En tout cas, Zwicky remarque d’ailleurs à l’occasion de son travail de compilation intergalactique l’existence de surdensités dans la distribution spatiale des galaxies répertoriées, ce qui lui permet de postuler l’existence d’une organisation sidérale cachée parmi les étoiles, agençant amas galactiques en superamas, et ceci dans un espace qui reste, quoi qu’on en dise, toujours silencieux puisque personne ne vous y entend crier. Épeurant non?
Détecteur de connards
Mais à côté de ça, et de ses prouesses scientifiques, la personnalité de Fritz Zwicky ne laissait personne indifférent. Il avait un côté farfelu qui s’exprimait au travers d’idées qui auraient facilement pu trouver leur place dans des romans de science-fiction, comme bombarder le soleil depuis la Terre pour modifier ses réactions de fusion nucléaire, ou bien sortir les planètes de leurs orbites afin de les rendre habitables.
Et puis – c’est le côté qui gâche la figure professeur Zébulon –, Fritz Zwicky était un sale type, un gars insupportable, colérique et méprisant. Il a ainsi été un professeur unanimement haï par ses élèves qu’il passait son temps à terroriser. Quant à ses pairs, ils n’étaient pas en reste, il les considérait le plus souvent comme des idiots. Par exemple, ses collègues de l’observatoire astronomique du Mont Wilson, dans le comté de Los Angeles, il les traitait tous régulièrement de « connards sphériques » (spherical bastards). Et quand on lui demandait pourquoi « sphériques », il répondait qu’ils l’étaient parce qu’ils apparaissaient comme de vrais connards quelque soit l’angle pris pour les observer.
À Fritz Zwicky, amateur de gruyère, découvreur de matière noire et détecteur de connards, les manchots et la science reconnaissante !
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