La galerie Karsten Greve présente pour la quatrième fois une exposition personnelle de Georgia Russell, artiste écossaise installée en France. Des toiles pour la plupart de grand et moyen format, reprenant ce qui constitue la marque distinctive de Russell : les découpes, de fines incisions ouvrant la toile sur un fond qui peut être une seconde toile, intacte, celle-là, le mur d’exposition ou d’autres toiles découpées dans le cas d’installations.
Avant d’être entaillées, les toiles sont peintes à larges traits, comme brossées par le pinceau, et de ce fait animées de mouvements et de traces qui reflètent l’énergie du geste pictural. La plupart du temps verticales, les découpes viennent presque à l’encontre de ces balayages soumis à d’autres logiques qui paraissent obéir à l’inspiration de l’instant.
On est saisi par la vigueur et la délicatesse de ces œuvres, qui affichent des teintes parfois ternes, parfois intensément colorées ou plus contrastées. Gris, vert d’eau, rouge, vieux rose… Difficile de définir ce coloris lui-même mouvant qui, par moments, semble devenir presque impalpable tant il est subtil. On a parfois l’impression d’être face à des paysages japonais qui se montrent ou se dérobent, des amas nuageux ou des eaux qui se diluent dans les couleurs voisines. Toute une matière en mouvement, qui chatoie au gré des superpositions de toiles, de l’éclairage des salles d’exposition et de la déambulation du spectateur. Il n’y a pas une vision unique de la toile, mais des visions multiples et inépuisables qui retiennent et induisent une contemplation rêveuse – comme si, face à ces œuvres, on se permettait enfin de plonger en soi pour y retrouver l’écho de ces aperçus insaisissables.
© Georgia Russell, replica I et II.
Courtesy Galerie Karsten Greve, Photo: Gilles Mazzufferi
La peinture de Russell n’a cependant rien d’éthéré. Sa subtilité se conjugue avec une vigueur perceptible dans les moindres incisions. Y regarder de près ouvre un univers qui ne se dévoile pas d’emblée : courbe de l’entaille, angle entamé, infime torsion qui produit dans les espaces de toile intermédiaires un étranglement soudain, tache blanche ou ocre là où la couleur fait défaut… Un parcours du plein et du vide, de la ligne et de la distorsion qui, sans que l’on comprenne comment, en arrive à signifier en soi. Et on ne cesse de vouloir se rapprocher et s’éloigner pour essayer de capter le mystère de ces œuvres d’une modernité incontestable et qui, pourtant, vont chercher loin dans les traditions picturales.
De ces toiles qui se déploient avec audace émane une modestie qui fait du bien. Parce qu’on y sent une recherche authentique, jamais satisfaite d’elle-même, qui continue d’aller de l’avant et d’explorer l’entre-deux.
Corinna Gepner
Arts plastiques
Georgia Russell, Paintings, jusqu’au 26 octobre 2019, Galerie Karsten Greve, 5, rue Debelleyme, 75003 Paris Du mardi au samedi, 10h-19h
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