les poèmes des rue de Paris
s’écrivent à l’encre mêlée
des caniveaux
où les balayeurs poussent les grumeaux
de la nuit
la poésie des rues de Paris
est oblique
savoir qu’au pied de la colline
l’océan qu’on voit bat contient déjà
ne plus savoir
qu’au pied de la colline
l’océan bat
et savoir qu’au pied
de la colline
dans le petit jour gris les corneilles animent seules le feuillage des platanes figé dans l’air lourd
depuis la veille on est pris dans la l’étreinte épaisse d’une pensée médusée on dirait du gras
au patient épuisement
des forces on se livrait
que le corps n’eût plus
d’asile que l’inépaisseur
d’une image numérique
et que s’éteignît l’âme d’un clic
peser aussi les mots
que l’on adresse aux morts
— ils sont un peu de notre poussière et
les entendent chacun le sait
ou tout au moins s’émeuvent
à leur manière
les nuages qu’on disait
les troupeaux du ciel
et qu’on savait les vents
mener par-dessus les têtes
à pâturer les horizons
passèrent un jour les fenêtres
je suis les arbres dans leur procession
leur bousculade immobile
et bruissante je ne veux
dans mon paysage défait d’homme
être rien d’autre
et leur âme éparpillée
dans les pages des livres
fondu les plombs
trouver la lumière dans la chair
d’une courge dans
l’aveu que font à demi
les pétales des renoncules
dans ce qu’il reste à découvert
des visages
par les milles détours liturgiques de leur ramure effeuillée les grands platanes du boulevard tentaient d’approcher le ciel
et ce matin pâle dimanche grelottant aux hurlées des scies mécaniques
les moins oublieux se souvenaient que des années plus tôt déjà l’hiver avait ainsi repris la mer en plein janvier et qu’on n’en pouvait donc tenir pour responsable celle que les pareils appelaient la folle
c’est un matin d’hiver ordinaire on est
sur la pente de la nuit qui mène
au travail on se demande
mais un instant
à quelle classe
moyenne on appartient et puis
On colore les cimetières de chrysanthèmes On célèbre la seule armistice le dépôt pour de bon des armes c’est la mort On les envie un peu les reposés de n’avoir plus mal au ventre plus peur
on avait répudié de longtemps
les cinq sens légitimes
on s’épilait avec des précautions félines
les poils des yeux
on en tressait des nids minuscules
aux mouches de l’entendement
des feuilles nous avons pris la lumière bleutée qui fait aux arbres leur robe d'ombre
et du ciel le roulement d'un coup de dés sur le tapis de l'infini
aux bouches emprunté les poissons et l'argent des paroles
les yeux mi-clos à la chute des feuilles on les dit mortes on confond
la mort et le détachement
c’est qu’on les envie
qu’on ne sait
passer la main légère
entre les cuisses qu’égrène le temps
puisqu’on ne peut plus qu’on n’en peut plus après vingt-et-une heures traverser la rue j’arrive chez mes voisins avec mes cordes et mes tuyaux de poésie d’improvisation de composition instantanée ils me reçoivent au fond de leurs pantoufles
quand même l’équarrissage
du temps quand même les dépeceurs
de l’espérance les égorgements
quand même le gravier
des nécessités l’avalanche
des exigences les falaises les
éboulements les coulées de haine boue
en me levant à cinq heures chaque matin tu fais de moi le plus tenace des poètes debout la tête épanouie comme un houppier les doigts sur le clavier d’où monte la nuit j’attends
elle me tenait le bras la vie
la main posée sur l’alpaga vert de mon costume
en un geste qu’on ne voit plus
qu’au cinéma
nous allions côte à côte la vie
et moi
si rien ne se dit plus pas un mot qui ne soit poursuivi traqué frappé d’opprobre de censure et que la langue penche désolée sur son squelette le poème alors est un plaisir de bouche qu’on le mâche le bave le crache le morsure suçotement se le passe avec la langue entre les dents
nous aimions les allumettes qui bientôt ne seraient plus nous aimions les arbres aussi les animaux de toutes les manières les regarder leur parler les manger nous faisions à la vie de tremblantes dévotions et de furieuses à la mort nous nous préparions à la catastrophe
que dire de ce qui sitôt saisi s’évanouit et du panier où le parfum puissant des roses mures se mêlait à l’odeur tenue du poisson montaient une haleine de massacre et des cris de couleur on ne voulait pas le manger on désirait seulement que cela fût
salut Paris les platanes de la République effeuillée les foules des colères souterraines les impatients dans leur exosquelette de plastique et de verre Securit les trottinettes montées par d’indomptables individualistes
sa cabane tout un décor de meubles fatigués et de bibelots joyeux arrangés avec soin autour d’une banquette dans un renfoncement de la rue de Clignancourt sa cabane sans toit ni murs son intérieur dehors
ce qui nous heurtait alors dans le fait que les industriels programmassent l’obsolescence de leurs produits, c’était que cette planification de la panne, ce paramétrage de l’accident, cette organisation du vieillissement nous renvoyait sourdement et en la déplaçant sur des objets
les bêtes disparues jamais cependant ne prit fin le temps d’enfance où nous parlions aux animaux aux animaux vivants ou morts les bêtes empaillées des musées d’histoire naturelle ou des cabinets de curiosité les sauvages les domestiques les plumeuses les écailleuses...
Nous donnions alors aux séismes, aux tempêtes, aux éruptions des prénoms humains, c’est dire que malgré tout l’aveuglement et l’inconscience que manifestaient nos actes quotidiens, nous savions...