Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
Tout a basculé le 23 février 2008. Ce jour-là, un président de la République en exercice gratifiait un de ses concitoyens d’un « Casse-toi, pauv’ con ! », ce qui, dans la bouche d’un chef d’État — par ailleurs chef des armées, co-prince d’Andorre et chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean-de-Latran —, était une forme de congédiement absolument inédite. L’interjection, on s’en souvient, était sortie assez spontanément de la bouche de Nicolas Sarkozy et elle était adressée à un homme qui, au Salon de l’agriculture, avait refusé sa poignée de main en lui disant : « Ah non, touche-moi pas ! Tu me salis ! ».
Dans un premier temps, Nicolas Sarkozy a assumé pleinement ses propos, déclarant qu’il était difficile, même quand on était président, de ne pas répondre à une insulte. Mais, quelques années plus tard, il a finalement estimé qu’en se situant au niveau de son interlocuteur il avait « abaissé la fonction présidentielle ». Le fait est qu’elle ne s’en est jamais relevée : il y a désormais dans la fonction quelque chose de solidement ancrée en dessous de la ceinture. Con (pauvre/gros/grand/petit/sale), trou du cul, tête de nœud, couille molle, enfoiré, enculé, sont en effet des insultes qui nous entraînent au merveilleux pays des zones génitales, lieu des plus grandes humiliations. Et lorsque le détenteur de la magistrature suprême se permet un « pauv’con », le Français de base se sent tout à fait libéré et s’en va taper sur le clavier de son téléphone, ou sur son compte Twitter, des « Tête de mort d’enculé de ta race de sa mère la chienne qui suce des bites en enfer et qui s’enfile un poteau électrique en guise de gode ».
Six mois après le Salon, lors d’un déplacement du Président, un militant altermondialiste brandissait une pancarte invitant Nicolas Sarkozy à se casser, « pauv’ con ». Il fut condamné à une amende de 30 euros avec sursis pour offense au chef de l’État (cinq ans plus tard, la Cour européenne des droits de l’Homme dénonça une condamnation « disproportionnée »). Rebelote en 2016 : un étudiant rennais lançait un « casse-toi, pauv’ con » à Emmanuel Macron, qui n’était encore que ministre (250 euros d’amende avec sursis). Peut-être est-ce cette onction qui valut à Macron de devenir président quelques mois plus tard.
À l’arrière des berlines
L’autre événement majeur de ces dernières années fut le « Fuck off » (allez vous faire foutre) lâché par le prince Philip, époux de la reine d’Angleterre. Ce n’était pas au Salon de l’agriculture, lieu de tant de turpitudes, mais au palais de Buckingham. Des conseillers du Premier ministre y étaient venus, en septembre 1997, discuter du rôle que joueraient William et Harry lors de la cérémonie d’enterrement de leur mère, la princesse Diana, tout juste décédée dans les tragiques circonstances que l’on sait. Les conseillers de la reine, en ligne depuis Balmoral, étaient sur haut-parleur lorsque, soudain, une voix se fit entendre derrière eux. C’était celle du prince Philip : « Allez vous faire foutre ! Vous parlez de deux garçons qui viennent de perdre leur mère. »
Dans un monde idéal, la berline Mercedes S280 de Diana ne serait pas encastrée dans un pilier du pont de l’Alma. Son Altesse royale le prince Philip, duc d’Édimbourg, serait toujours en train de se demander comment réussir ce contrat de six trèfles alors qu’il n’a que quatre points en main et son partenaire à peine plus. L’homme du Salon de l’agriculture aurait lancé à Nicolas Sarkozy : « Je suis au regret de ne pouvoir vous serrer la main, Monsieur le Président, car mes bêtes m’attendent ». Ce à quoi Nicolas Sarkozy aurait répondu : « Je vous prie, Monsieur, de vous écarter prestement de moi afin que vous puissiez aller traire votre vache ou votre chèvre sans aucun risque de choc septique pour l’animal. »
Dans ce monde parfait, Serge Gainsbourg aurait tout de même écrit son Requiem pour un con. « Je l’ai composé spécialement pour toi, à ta mémoire de scélérat. Sur ta figure blême, aux murs des prisons, j’inscrirai moi-même : ‘Pauvre con' ».
Édouard Launet
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