Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.
Le chemin qui va du coronavirus à la Shoah est étroit, tortueux et pour tout dire improbable. Pourtant, la pandémie a atteint remarquablement vite le point Godwin, ce moment où, dans tout débat, les adversaires finissent par s’injurier en se jetant à la figure des allusions à l’Allemagne nazie.
Dès le 2 février, l’ambassadeur de Chine en Israël était contraint de présenter des excuses pour avoir comparé la décision de plusieurs pays de fermer leurs frontières aux voyageurs chinois au refoulement des réfugiés juifs durant l’Holocauste. Puis cette contamination godwinienne est devenue planétaire. Quelques semaines plus tard, aux États-Unis, un élu républicain du Colorado dénonçait les mesures de confinement comme relevant d’une mentalité gestapiste. En Belgique, un professeur de l’université de Gand (en sciences de la communication…) accueillait des policiers avec des « Sieg Heil » et des « Bienvenue en Allemagne nazie » au motif que ces derniers intervenaient à son domicile pour tapage nocturne, alors qu’il organisait au beau milieu de la nuit un livestream à l’intention de ses étudiants — lors duquel les salutations aux forces de l’ordre furent retransmises en direct. Et jusqu’en Australie où, près de Melbourne, des individus ont hissé au sommet d’une tour de télécoms des drapeaux ornés de croix gammées et des drapeaux chinois barbouillés de l’inscription « COVID-19 ».
On ne s’attendait pas à voir le troisième Reich débarquer dans la crise sanitaire, ce en quoi nous étions bien naïfs : les pandémies et le nazisme ont en commun d’être des références quasi universelles. Les premières, ainsi que les débats politiques qu’elles suscitent, créent une sorte de lien social planétaire, tandis que le second fixe le degré maximal de l’abjection dans beaucoup de cultures. Or selon la loi énoncée en 1990 par l’avocat américain Mike Godwin, « plus une discussion dure, plus la probabilité d’y trouver une comparaison impliquant les nazis ou Adolf Hitler s’approche de 1 ». Dès lors, il était inévitable que les contraintes du confinement, parfois très mal vécues, fassent ressurgir le spectre du Führer.
Si quelque vaisseau extraterrestre a eu la bonne idée de venir orbiter discrètement autour du globe pendant la crise du Covid, il a pu observer l’espèce humaine dans un de ses moments les plus spectaculaires. Son équipage va pouvoir repartir vers la planète Zorglub avec cette incroyable nouvelle : il y a vers l’étoile appelée Soleil une planète sur laquelle la vie s’est développée. Hélas elle est pleine de virus et de nazis, au point d’être inhabitable.
Édouard Launet
Insultologie appliquée
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