Dans La Imaginación del futuro, présenté au festival d’Avignon 2014, le metteur en scène chilien Marco Layera s’amusait à déboulonner l’icône de gauche Salvador Allende, représenté en vieille baderne gâteuse responsable des exactions de la dictature à venir. Plutôt réussie dans la forme, la satire laissait perplexe quant au fond, même sous couvert d’humour et de second degré. Dans La Dictadura de lo cool, son nouveau spectacle, on retrouve les mêmes ingrédients : farce politique déjantée (moins bien jouée que la précédente) et fond de sauce réactionnaire. Dans le collimateur de Layera, une fois encore, la gauche officielle, et de façon générale les bobos (“la dictature du cool” évoquée par le titre du spectacle), soit, selon les mots du metteur en scène dans le programme, “cette classe qui se caractérise par le développement d’un mode de vie qui fait plus que s’accommoder avec le capitalisme, qui y contribue et y adhère, en même temps qu’elle défend des valeurs dites de contre-culture. Il s’agit d’une nouvelle bourgeoisie qui prétend humaniser le capitalisme et se construit en réalité une identité complaisante. Parler de ce groupe social, c’est tenter de définir notre époque, une époque froide et indolente mais dans laquelle, à travers le consumérisme et depuis le confort de nos foyers, ce mode de vie et de pensée nous permet de nous considérer comme des citoyens sensibles, socialement engagés et politiquement actifs.”
Pour tirer sur les bobos, Layera imagine une soirée de 1er mai à Santiago où un petit groupe de représentants de la gauche caviar fête la nomination de l’un des siens comme nouveau ministre de la Culture. Au menu, alcool, cocaïne, sexe et psychodrame, sous le regard réprobateur mais invisible du prolétariat : la femme de ménage à qui l’on a fait enfiler un déguisement d’ours. La charge se veut féroce et accumule les poncifs : les défenseurs de l’école publique qui mettent leurs enfants dans le privé, les professionnels des causes humanitaires retranchés dans leurs beaux quartiers… Au passage, l’art contemporain est aussi dans le viseur via l’histoire fictive de l’artiste qui aurait réalisé une installation à partir de vêtements ayant appartenu aux 43 étudiants mexicains de l’École normale rurale de Ayotzinapa dans l’État du Guerrero, enlevés et assassinés en septembre 2014 ; manque de chance, une femme de ménage du musée où l’œuvre était exposée a, par ignorance, tout jeté à la poubelle…
Cette veine clairement réac, on l’a dit, et dans l’air du temps, est depuis longtemps exploitée par d’autres, ainsi Yasmina Reza. Sauf que Marco Layera n’assume pas et préfère se donner un vernis de radicalité ultra-gauche, avec des références au Comité invisible et à L’insurrection qui vient, le livre publié en 2007 par La Fabrique, et des phrases, toujours extraites du programme, telles que “Je crois que la radicalité devrait être recherchée dans la vie plus que dans l’art” ou “Pour parler clairement de la révolution, je crois qu’aujourd’hui elle n’est pas impossible”. Ce qui ressort de son spectacle, c’est plutôt l’opportunisme bêta d’un culbuto qui se ferait passer pour anarchiste.
Quant à la propension à tirer sur les bobos, Philippe Lançon, blessé lors de l’attentat contre Charlie Hebdo en janvier 2015, a dit ce qu’il en pensait dans un article publié dans Libération le 22 novembre 2015, quelques jours après l’attentat du Bataclan : “Pourquoi ces bourgeois urbains et civilisés, plutôt jeunes, plutôt ouverts, plutôt cultivés, somme toute assez sympathiques jusque dans leurs caricatures, ont-ils provoqué tant de haines et de sarcasmes dans la société française –y compris et peut-être même d’abord parmi ceux qui en font partie ? Parce qu’ils ne se tiennent pas à la place que cette société voudrait leur assigner. À droite comme à gauche, on leur reproche d’avoir une conscience, bonne ou mauvaise, que ne traduisent plus les vieux dictionnaires politiques.”
René Solis
La Dictadura de lo cool (La dictature du cool), mise en scène de Marco Layera, en espagnol surtitré. Gymnase Aubanel, jusqu’au 24 juillet.
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