Ils sont quatre qui tirent les ficelles aux quatre coins d’une immense bâche noire, comme s’ils jouaient à y faire rebondir un pantin qui n’existe pas. On peut y voir une lointaine citation du tableau de Goya… ou pas, cela n’a pas grande importance. Cette longue séquence, qui ouvre Le Bruit des arbres qui tombent, le spectacle que Nathalie Béasse présente au théâtre de la Bastille, est la première d’une série d’images énigmatiques dont le sens importe moins que la sensation qu’elles provoquent, chez les spectateurs comme chez les acteurs. Et cette bâche qu’ils s’échinent à faire danser dans la pénombre n’est peut-être, en deçà de toute interprétation métaphorique, qu’un simple échauffement, un exercice préparatoire à une performance physiquement exigeante. La danse y tient une placxe centrale : la bâche une fois repliée dans un coin, les quatre (Estelle Delcambre, Karim Fatihi, Erik Gerken, Clément Goupille) entament une chorégraphie qui tient de la farandole et dont l’intensité le dispute au relâchement. On voudrait que ça dure, mais rien ne s’installe jamais dans Le Bruit des arbres qui tombent, où les histoires, les textes, les situations s’enchaînent et se ramifient sans début ou fin apparents, et oscillent entre théâtre et danse. On s’y heurte, on s’y aide, on s’y perd, on y retourne en enfance, ou à l’état sauvage, cela tient d’une promenade en forêt (on peut penser aussi au Jardin aux sentiers qui bifurquent, la nouvelle de Borges), d’une chasse au trésor et d’une fête de famille où les liens et les identités sexuelles seraient fluctuants. On y parle français, anglais, néerlandais, danois, arabe, on y entend des phrases de Duras et de L’Évangile selon saint Matthieu, et aussi un poème indien d’Amérique du Nord, d’où est tiré le titre du spectacle : « Une fois / tous les bruits du monde se rencontrèrent. / Tous les bruits du monde / dans un seul endroit / et je m’y trouvais ». Tous les bruits du monde dans un seul endroit : c’est à peu près cela que Nathalie Béasse réussit à faire entendre.
René Solis
Théâtre
Le bruit des arbres qui tombent, conception, mise en scène et scénographie de Nathalie Béasse, Théâtre de la Bastille, 76, rue de la Roquette, 75011 Paris, jusqu’au 14 octobre.
Photos: © Pierre Grosbois
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