180 portes palières récupérées dans un immeuble de logements, de la laine de roche provenant d’une toiture endommagée d’un supermarché, des lampadaires urbains transformées en suspensions domestiques… Installé aux pieds de l’imposant Hôtel de ville parisien néo-Renaissance, une étrange petite construction, bardée de bois, attire l’œil. Elle est entièrement construite avec des matériaux de réemploi. Ce Pavillon circulaire, qui est plutôt hérissé de pointes, est un bâtiment-manifeste conçu par le duo Encore Heureux Architecture (Nicola Delon et Julien Choppin), avec le Pavillon de l’Arsenal et les services de la Ville de Paris. Oui, affirment-ils, on peut bâtir en réemployant des matériaux “sans tomber dans l’esthétique poubelle ou passéiste”. C’est ce qu’ils avaient déjà défendu à l’Arsenal en 2014 avec l’exposition “Matière Grise” (1) où ils présentaient nombres de projets internationaux qui réutilisaient moquettes usagées ou autres matériaux mis au rebut. Là, ils offrent une démonstration concrète, reposant sur une petite économie circulaire et les savoir-faire puisés dans la région parisienne.
“Le BTP produit 75 % de déchets, argumentent Delon et Choppin. Il ne faut pas subir l’épuisement des ressources, il faut opérer des transferts de ressources, pour les transformer en innovations constructives.” Une telle démarche implique de créer une filière du réemploi des matériaux, de déconstruire soigneusement les édifices pour en récupérer les composants. De relayer cette mine de matériaux par des réseaux collaboratifs. “Le réemploi peut créer de l’emploi”, ajoutent les Encore Heureux.
C’est toute cette démarche que ce chalet urbain, très narratif, raconte. Mais pas seulement, c’est aussi un café solidaire, qui accueille différents ateliers : enfants, modélisation 3D, marionnettes, cuisine anti-gaspi du chef Pierre Sang. Il sera animé par divers débats, pendant la COP 21 (21e Conférence des Nations unies sur les changements climatiques).
La COP ? Les architectes d’Encore Heureux l’ont eu mauvaise. Choisis pour concevoir la scénographie de cette conférence maousse et du village à inventer au Bourget, ils ont été dépossédés de la finalisation du projet. C’est Décoral-Jaulin, une entreprise spécialisée dans la construction et l’installation de stands de foires et d’expositions, qui a été retenue en dernière instance, semble-t-il pour des raisons de coût. Les circuits écolos de réemploi, qui s’apparentent à l’artisanat, peuvent s’avérer un peu plus chers que les standards industriels et les critères écologiques, qui auraient eu un sens particulier dans une telle conférence, n’ont pas fait le poids face aux logiques économiques…
Nicola Delon et Julien Choppin, un peu “enfants” de Patrick Bouchain et de l’Atelier Construire, sont-ils des utopistes ? Non, ils n’inventent rien, ils ne font que rappeler comment, au cours des siècles, on a toujours bâti, rebâti en utilisant les matériaux du passé, on a reconstruit avec les éléments des ruines romaines ou autres, créant collages, strates et palimpsestes. Cette pratique traditionnelle et pragmatique a été interrompue par la construction industrielle. Encore Heureux, s’ils sont encore en France assez minoritaires, ne sont pas isolés dans le monde. Ce n’est pas un hasard si au même moment, Arc en rêve, centre d’architecture bordelais, invite Maarten Gielen, architecte cofondateur du collectif belge Rotor, à donner une conférence sur ce même thème du réemploi de matériaux (2). Ce groupe travaille dans ce sens depuis dix ans. Il a mis au point Opalis, une plateforme web, un inventaire en ligne mettant en relation vendeurs et acheteurs de matériaux d’occasion pour construire.
Et que deviendra le Pavillon circulaire parisien ? Il ne sera évidemment pas détruit, mais démonté, et réemployé pour devenir le Club House d’une association sportive du XVe arrondissement.
Anne-Marie Fèvre
(1) Catalogue Matière grise, matériaux / réemploi / architecture, Paris, édition Pavillon de l’Arsenal, 2014, 368 p.
(2) “Déconstruction”, conférence de Maarten Gielen pour Rotor, jeudi 5 novembre, Arc en rêve, 7 rue Ferrère, Bordeaux, à 18h30.
Pavillon circulaire, café Mondes et médias, ouvert tous les jours de 10h à 19h, jusqu’au 3 janvier. Débats avec Télérama les 1er, 8 et 15 décembre, à 19h.
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