La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Pierre Charpin en villégiature
| 14 Juil 2015

Folie moderniste conçue de 1923 à 1933 par l’architecte Robert Mallet-Stevens, nourrie par l’esprit mécène et extravagant de Marie-Laure et Charles de Noailles, propriétaires de cette “petite maison intéressante à habiter dans le Midi”, la Villa Noailles, à Hyères (Var), était en partie en ruines à la fin des années 90. Mais déjà son jeune directeur obstiné, Jean-Pierre Blanc, la rêvait telle qu’elle est devenue. Sauvée par la ville d’abord, soutenue par le Var et la Région PACA, cette villégiature transformée en Centre d’art est restaurée, toujours fantasque, historienne, curieuse, fragile, embrouillée parfois, mais résistante. Croisant mode, photographie, design et architecture, toutes ces disciplines, ici souvent indisciplinées, des arts appliqués.

ST 05, Stands, Pierre Charpin, Design Gallery Milano, 2002. ©Pierre Antoine

ST 05, Stands, Pierre Charpin, Design Gallery Milano, 2002. ©Pierre Antoine

Pour le dixième anniversaire de la Design Parade, la Villa a invité le designer français Pierre Charpin. Dans son exposition Villégiature, il rassemble des objets à la fois plastiques et usuels, qui jouent avec deux espaces, la piscine et le squash, respectueux de l’architecture moderno-cubique. Ces pièces ne sont en aucun cas narratives mais presque abstraites, mises à distance, posées ou accrochées, en pause. Des Stands de 2002 à l’étagère Pinocchio de 2013. Pourtant, ces objets représentent aussi “des mots, ils forment des phrases”, explique Charpin. Des phrases faites de matières, de formes, de couleurs très affirmées, monochromes souvent, de décors aussi qui sculptent le volume. Un alphabet reconnaissable par ses signes géométriques, simples et purs. Où domine le cylindre. Des “mots” élémentaires et denses, qui seraient des vases, des lampes, des tables, des chaises. Des archétypes.

Ce paysage d’objets raconte aussi l’histoire de leur créateur, né en 1962, formé à Bourges, qui vit et travaille à Ivry. Marqué par le groupe Memphis fondé à Milan en 1981 autour d’Ettore Sottsass (1917-2007), le plasticien devenu designer a aussi un important parcours d’enseignant, de Reims à Lausanne. Depuis vingt-cinq ans, Charpin se donne le temps d’interroger son design, le design. Ce passeur discret trouve à la Villa des artistes avec lesquels il tisse des liens, des filiations. Comme Nathalie Du Pasquier, artiste franco-italienne née en 1957, l’une des fondatrices du mouvement Memphis, qui ravive les tissus provençaux de la marque textile Olivades. Ou le designer français Fabien Capello, né en 1984, installé à Londres, qui, à la Tour des Templiers, défend aussi ses volumes et ses couleurs, dont un séduisant mobilier urbain coloré, élaboré pour Kingston, dans la banlieue londonienne.

A la Villa Noailles, on picore des formes, des nouveaux processus de fabrication, et on brasse beaucoup de questions quant à l’avenir du design. Peut-on créer en bambou, pour remplacer le plastique polluant dans l’électroménager ? C’est ce que propose le jeune Samy Rio, lauréat du concours 2015 des jeunes designers, avec un sèche-cheveux. L’an passé, Laura Couto Rosado était la gagnante du concours. Sera-t-il possible de sabrer comme une bouteille de Champagne ses Vases en puissance, élaborés au CIRVA de Marseille ? De la raffinée porcelaine de Sèvres au liège brut en perdition dans le Var, des nouveaux luminaires conçus par Normal Studio avec l’entreprise Sammode aux poteries Ravel travaillée par les étudiants de l’École Supérieure d’Art et de Design de Toulon, la Villa est plus que jamais un grand collage, un marabout de ficelles. Et dans le salon rose de la maison, on peut se pencher sur les fameux Scrapbooks bricolés par Marie-Laure de Noailles, restaurés et si drôles.

Un peu à l’écart, sur le domaine, la villa Gandarillas, ou Château Saint-Pierre, ressemblait à un fantôme de pierres, abandonné, dangereux. Datant du début du XXe siècle, cette bâtisse néo-romane crénelée, un peu mauresque, était assez incongrue. Sans avoir changé d’apparence, elle est transfigurée en atelier de prototypage destiné aux jeunes créateurs de la mode ou du design, grâce aux architectes Patrick Bouchain et Loïc Julienne, qui, en deux boîtes en bois et deux mouvements, l’ont habilement consolidée, démontrant à quel point on peut, en innovant, conserver une ruine sans passer par de lourdes restaurations coûteuses. Les jeunes créateurs y travaillent depuis un an et y exposent leurs travaux et ateliers. Avec eux, Saint-Pierre est devenu un passage, un peu buissonnier, de la Villa, qui construit des ponts entre design et mode, architecture et paysage. Le designer Antoine Boudin y a installé d’ingénieux rideaux protecteurs en cannes de Provence. Un jardin méditerranéen se dessine, il est réinventé par les paysagistes Camille Fréchou, Damien Roger et Laura Roubine. Et c’est là que l’on découvre un autre lien, inattendu. Patrick Bouchain a été l’enseignant, aux Beaux-Arts de Bourges, du jeune Pierre Charpin. Aux côtés de son père, le sculpteur Marc Charpin. La boucle est loin d’être bouclée. La coïncidence des rencontres continue à Noailles.

Anne-Marie Fèvre

8½, Pierre Charpin, Galerie Kreo, édition limitée, 2009. ©Fabrice Gousset

8½, Pierre Charpin, Galerie Kreo, édition limitée, 2009. ©Fabrice Gousset

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