Cela faisait treize années qu’il n’avait rien produit. Et cette longue attente en valait la peine. John Prine, 71 ans, vient de sortir son 24e album, un peu sous le manteau, produit par sa femme et son fils pour la marque familiale Oh Boy Records, label créé au début des années quatre-vingt. « Ils sont venus me voir l’été dernier en me disant qu’il était temps de refaire un disque. Ils m’ont mis dans une belle chambre d’hôtel à Nashville, et je me suis retrouvé seul avec quatre guitares et une dizaine de textes à terminer. J’y suis resté dix jours, jusqu’à ce que dix chansons soient en boîte. » Et le résultat est bluffant puisque The Tree of Forgiveness peut aisément trouver sa place aux côtés du meilleur de Johnny Cash.
John Prine est un drôle de personnage. Surtout à ses débuts puisque ce natif de l’Illinois aura pratiquement tout fait avant de s’improviser auteur-compositeur. Postier pendant cinq ans avant de se retrouver à servir le pays en Allemagne en pleine guerre du Vietnam, il retrouve son emploi à la poste de Maywood à la fin des années soixante et participe à quelques soirées musicales ouvertes à tous dans un club de Chicago. Il est vite remarqué par un critique du Chicago Sun Times pour ses compositions. Un premier album auto-produit en 1971 lui vaut d’excellentes critiques. On dit que c’est Kris Kristofferson qui le découvre dans un club de Chicago. Le Daily Telegraph rapporte même une boutade de l’auteur de « Me and Bobby McGee » : « Il compose des chansons si belles qu’il va falloir penser à lui casser les pouces… »
On l’annonce un peu comme le nouveau Dylan. Bob jouera d’ailleurs incognito de l’harmonica avec lui lors de sa première apparition sur scène dans un club de New York. Et, des années plus tard, le Zimmy n’hésite pas à qualifier le travail de John Prine comme étant du pur existentialisme proustien. Tout comme Johnny Cash, qui le cita parmi ses quatre compositeurs favoris.
Les nombreuses nominations classent Prine parmi les meilleurs tout au long de sa carrière avec notamment trois Grammy Awards, et deux titres d’artiste de l’année. Il aura travaillé avec Steve Goodman et composé pour David Allan Coe, The Highwaymen, chanté avec Lucinda Williams, Emmylou Harris, croisé la scène avec Howie Epstein, le bassiste de Tom Petty… Une carrière interrompue en 1998 à la suite d’une tumeur dans le cou. Dans une lettre à ses fans qu’il écrit en 1999, il remercie ceux (dont la presse) qui ont su rester discrets sur sa maladie, promettant de revenir un jour chanter sur scène. John Prine aura laissé une partie de sa voix dans diverses opérations chirurgicales, sans pour autant affecter sa chaleur. Malheureusement, en 2013, ce sont les poumons qui sont touchés. Et il se présente aujourd’hui en revenant, la voix rauque, fatiguée mais encore plus touchante, « prêt à fumer une cigarette de 9 miles de long ».
Avec cette remise en selle exigée par ses proches, John Prine se montre à la fois jovial et sombre. « Avec l’âge, tout devient à la fois très important et très insignifiant. » En dix morceaux très simples produits par Dave Cobb, il caresse, tantôt d’un guitare picking ou d’un piano bastringue, des situations qui le concernent de très près. « J’espère qu’on ne va pas se rendre compte que c’est la dernière fois qu’on se dit au revoir. »
Dino Di Meo
Musique
John Prine, The Tree of Forgiveness,Oh Boy Records
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