Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.
E pur si muove ! La Terre tourne et, mieux que Galilée, ce sont les chaînes d’info en continu qui nous le prouvent chaque premier janvier en diffusant des images des feux d’artifices successifs de Sydney, Dubaï, Paris, New York, Los Angeles (jamais celui de Bar-le-Duc, étrangement). L’humanité communie ainsi une fois par an dans les pétards, mais des pétards qui ne pètent pas tous en même temps. L’apocalypse, ce sera beaucoup mieux : le grand spectacle pyrotechnique aura lieu au même moment pour tout le monde. Les chaînes d’info auront là une formidable occasion d’édition spéciale avec experts, débats et tutti quanti. Il y a d’ailleurs fort à parier qu’une large partie de la population mondiale passera ses derniers instants agglutinée devant le petit écran pour ne rien rater de cette exceptionnelle transe collective à l’échelle du globe. Et pas même de coupures publicitaires puisque, dès le lendemain, plus rien ne sera à vendre.
Hélas, rien ne dit que la fin du monde arrivera sous la forme d’un grand boum précédé de la grande boum qui nous y préparerait. Seuls deux éventualités permettraient ce genre de fête ultime : la collision avec un astéroïde que nous n’aurions pas pu dévier à coups de missiles, ou bien un suicide collectif via la mise à feu de tous les arsenaux nucléaires — mais pour quelle raison : lassitude ? inadvertance ? chagrin d’amour collectif ? L’hypothèse astéroïde reste la plus tangible, les scientifiques disposant d’ailleurs d’une échelle pour en mesurer la probabilité : l’échelle de Turin. Celle-ci compte dix barreaux qui vont du niveau 0 (« probabilité nulle ou quasi nulle de collision ») au niveau 10 (« collision certaine entraînant une catastrophe climatique globale pouvant menacer l’avenir de l’humanité »). Une alerte de niveau 10 ne se produit que moins d’une fois tous les 100 000 ans, en moyenne. La dernière fois, nous n’étions pas là pour voir l’aiguille grimper dans le rouge. La prochaine, nous serons peut-être déjà morts. Seuls les dinosaures, voilà quelque soixante-six millions d’années, ont goûté le niveau 10 mais ils n’avaient pas Ruth Elkrief pour leur commenter en direct la chute du météorite fatal sur le Yucatán : cette espèce avait décidément peu d’avenir.
Pour l’heure, il n’y aucun objet dans le ciel relevant du niveau 10. Le pire que l’on ait connu, c’est Apophis, un astéroïde qui fut classé au niveau 4 (« passage proche, méritant l’attention des astronomes ») parce qu’on le voyait frôler la terre le vendredi 13 avril 2029, puis à son retour un jour de 2036, mais cette pauvre chose a récemment été rétrogradée au niveau 0. Fin de l’alerte. Rien n’exclut cependant que l’on trouve un jour un meilleur candidat.
Les astéroïdes n’ont jamais peuplé mes cauchemars, moins en tout cas que les épreuves du bac — lesquelles sont pourtant loin derrière moi. Seul le film Melancholia de Lars Von Trier m’a fait passer une mauvaise nuit. Une gigantesque planète surnommée Melancholia s’apprête à entrer en collision avec la Terre, et Charlotte Gainsbourg est prise d’une étrange langueur. L’apocalypse finit par survenir dans le film mais la réalité réservera bien pire : à Cannes, questionné sur ses racines allemandes lors de la présentation du film, Lars Von Trier déclarera à propos de Hitler : « Je dis que je comprends l’homme. Ce n’est pas vraiment un brave type, mais […] je compatis un peu avec lui ». Une vraie catastrophe pour le coup.
Au moment de l’anéantissement collectif, la fameuse réplique de cinéma « Partez, laissez-moi mourir » tomberait complètement à plat. À la rigueur, nous pourrions geindre : « Mourez, laissez-moi partir ». Nous enfourcherions alors une fusée et, lui fouettant le postérieur à coups de Stetson, nous nous évaderions du chaos pour un monde meilleur. On ne voit que Mel Brooks pour filmer pareille scène, mais le pauvre a déjà 92 ans. En son temps, Kubrick a tourné un plan similaire dans Dr Folamour, celui où l’on voit le major Kong enfourcher une ogive nucléaire comme un cheval de rodéo, mais c’est pour aller atomiser la planète, pas pour s’en échapper.
Quoi qu’il en soit, c’est le Live and Let Die de Paul McCartney qui accompagnerait cette scène finale :
Quand tu étais jeune et que ton coeur était un livre ouvert
Tu disais : “Vivez et laissez vivre”.
Mais le monde si changeant dans lequel nous vivons
Te fait abandonner la partie et pleurer
Et dire : « Vivez et laissez mourir »
Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde
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