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Obstinée comme une prégnance
| 27 Déc 2016

“Obstinée comme une prégnance”, une chronique avéryenne de Nicolas WitkowskiUne fois la question de la saillance réglée (si l’on peut dire), la prégnance est émise. Les divers accidents qui peuvent entraver sa propagation sont une grande spécialité d’Avery, au ressort comique indéniable. Car la prégnance, malgré sa nature ondulatoire et évanescente, est bien plus stable et “solide” qu’une saillance. Quand le loup des champs (Little Rural Riding Hood, 1949) déploie son regard télescopique pour mater le petit chaperon rouge, le loup des villes tente de lui boucher la vue, mais les yeux traversent sa main… Et quand il lui met le doigt dans la bouche pour l’empêcher de siffler, le sifflement “le traverse”, et c’est lui qui se met à siffler !

Dans le déjà-cité Cock-a-Doodle-Dog, qui sera analysé en détail plus loin, Spike met le coq dans une caisse et cloue la caisse ; le coq fait un trou ; Spike cloue une autre planche par dessus ; le coq émerge aussitôt de la planche ; Spike scie la planche ; le coq émerge du bout scié de la planche. La propagation de la prégnance “chant du coq” s’avère définitivement impossible à arrêter.

La prégnance s’arrête parfois, cependant, mais alors juste avant d’investir son récepteur, ce qui laisse le spectateur dans un état de frustration avancé. Dans Three Little Pups (1953), un chien mord Spike… et reste figé en train de mordre. Spike enlève son pantalon, et le chien avec, qui est toujours en train de mordre !

En fait, la seule façon d’arrêter une prégnance est de lui en opposer une autre. Dans The Blitz Wolf (1942), un obus et sa prégnance carrément destructrice se voient stoppés net lorsque le petit cochon sort un magazine de pinups à la prégnance carrément sexuelle, à la suite de quoi l’obus va chercher ses copains qui viennent tous admirer le spectacle :

Enfin, Avery va toujours jusqu’au bout. La puissance de la prégnance ainsi démontrée s’avère capable de détruire le film lui-même. Dans Billy Boy (1954), les moutons dévorent tout, ne laissant qu’un écran blanc : la faim justifie les moyens.

Le retour systématique de la prégnance vers son émetteur rappelle le célèbre “arroseur arrosé”, qui prend la prégnance (l’eau) en pleine figure parce qu’un gamin a bloqué momentanément sa propagation. La version avéryenne, elle, met souvent en scène un changement de prégnance : la prégnance initiale (maléfique) est déguisée sous un autre aspect (délicieux). Il est alors possible de croquer la pomme ou de bafrer un steak… avant le retour de la prégnance initiale :

Suprême raffinement (ici dans Wags to Riches, 1949, qui en contient d’autres exemples), la prégnance initiale peut revenir trois fois de suite :

Avery nous montre ainsi que la faim, comme ces autres prégnances que sont la peur ou le sexe, ont davantage de réalité, de stabilité, que ceux qui les éprouvent. Les saillances, toujours incertaines, comptent moins que les prégnances, au même titre que dans nos phrases, le verbe est plus important que le sujet ou le complément. D’ailleurs, la sémiophysique s’appliquant aussi heureusement à la linguistique qu’au dessin animé, il était logique qu’Avery en vienne à s’attaquer à la plus énigmatique des prégnances : le langage, auquel sera consacrée la prochaine chronique.

Nicolas Witkowski
Chroniques avéryennes

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