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All My Life
| 11 Juil 2022

All My Life (1966) de Bruce Baillie (1931-2020)

 

Bruce Baillie est l’un des pionniers du cinéma d’avant-garde tourné sur la côte ouest des États-Unis à la fin des années soixante. Ses films explorent différents registres, entre le plan-séquence sur fond musical (All My Life), le travail formel à partir d’une conception lyrique, libre et poétique de la composition, et les multiples expositions (Castro Street) ou la biographie mythique d’un personnage mexicain (Valentín de las Sierras).

« Poète métaphysique du cinéma d’avant-garde de l’après-guerre, Bruce Baillie fusionne les espaces intérieur et extérieur à travers une manipulation sensuelle des surfaces photographiques », a écrit Ed Halter à propos du travail du cinéaste.

Baillie est né en 1931 à Aberdeen (Dakota du sud) et est mort à San Francisco en 2020; il a servi dans la Marine américaine durant la guerre de Corée et a étudié le cinéma à la  London School of Film Technique; il s’est installé dans la région de la baie San Francisco dans les années 1950. Son premier film date de 1960 et l’année suivante il a fondé en compagnie de Chick Strand la société de distribution Canyon Cinema , sur le modèle de la Films-Makers’ Cooperative de New York. « Je me suis tout de suite rendu compte que faire et projeter des films étaient des activités étroitement liées, et j’ai donc trouvé du boulot dans un supermarché Safeway, j’ai demandé un prêt et j’ai acheté un projecteur », racontait-il dans un entretien avec Scott MacDonald.

Son court-métrage de près de trois minutes avec All My Life de Ella Fitzgerald en bande-son (1966) dissimule une anecdote. Baillie raconte que c’est « la qualité de la lumière durant trois jours d’été » sur la côte californienne qui le poussa à tourner ce film. Après plusieurs jours passés à admirer cette lumière, il prit avec un ami la route du retour vers San Francisco, mais en chemin il se fit cette réflexion: « Je ne peux quand même tourner le dos à un truc pareil ». Alors il sortit son trépied.

Le résultat est celui que nous révèle l’œil-caméra qui se promène lentement sur une palissade en bois encadrée par des ciels bleus et des fleurs rouges. Avec une harmonie de correspondances entre les accords du piano, les irrégularités de la palissade en bois, les états d’âme, et les bleus et rouges intenses de l’été, la voix profonde et douce, la brise légère et la cadence du mouvement de la caméra.

Spécialiste du cinéma d’avant-garde, Adams Sitney a un jour qualifié Baillie de « maître d’un cinéma où objets et paysages libèrent leur énergie intérieure ».

Baillie dirait la même chose mais sous forme de questions: « Comment rendre compte de l’invisible? Les questionnements de l’âme, et dans le cas présent les questionnements turbulents de l’âme, ce qui est en mouvement, comment enregistrer cela? »

María Virginia Jaua

La version originale de ce texte a été publiée le 21 juillet 2019 dans la section Máquinas de visión de la revue en ligne Campo de Relámpagos.
Traduction en français: René Solis

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