Le Ballet de l’Opéra national de Lyon, dirigé avec doigté par Yorgos Loukos, vient de présenter à Lyon un nouveau programme – Trois grandes fugues – qui réunit trois grandes dames de la danse contemporaine.
Pour l’Américaine Lucinda Childs, qui avait déjà transmis à la compagnie sa pièce minimaliste Dance, il s’agit d’une création. Décevante. On ne sait ce que la chorégraphe a voulu saisir de la musique de Beethoven [1], à la fois jubilatoire et repliée sur un drame. Les douze danseurs sont techniquement irréprochables dans cette Grande fugue mais rien de leur intention ne transparaît, comme si la dramaturgie était totalement absente. Le vocabulaire est très classique (arabesques à gogo), ce qui pourrait être un parti pris, mais Lucinda Childs le manie pauvrement, peu habituée à ce genre d’exercice. On dirait du Merce Cunningham mal distribué dans l’espace, d’autant plus que le décor dentelé de Dominique Drillot encombre la scène, sans vraiment que l’on sache pourquoi. Les entrées et sorties des danseurs à partir de sa structure, pas moche du tout par ailleurs, nous laissent perplexes. Cette fugue est lisse voire glaciale, ce qui n’enlève rien au respect et même à la tendresse que l’on éprouve pour Lucinda Childs.
On se réconcilie avec Beethoven avec Anne Teresa De Keersmaeker et Maguy Marin. Ce n’est sans doute pas un hasard si toutes les deux ont suivi l’enseignement de Maurice Béjart à Mudra et plus particulièrement celui du maître du rythme Fernand Schirren. Les pièces sont très différentes même si les deux optent pour la vie jusqu’à en mourir.
En noir et blanc, Die Grosse Fuge d’Anne Teresa De Keersmaeker entrée au répertoire du Ballet de Lyon en 2006, réunit sept hommes et une femme. On ne peut plus musicale, la partition chorégraphique faisant écho à celle de Beethoven sans jamais la coller. Le vocabulaire gestuel est riche : des envolées, des sauts groupés, des sauts torsadés, des chutes, des roulades, des mains libres, etc. Une seule phrase chorégraphique énoncée par un danseur suffit à un tissage subtil, elle est reprise par un autre, transformée. L’énergie est masculine mais les danseurs peuvent y être féminins. C’est sans doute la pièce la plus flamenco de la chorégraphe belge. Sur Beethoven, il fallait le faire.
Quant à Maguy Marin avec son quatuor Grosse Fugue entré au répertoire de la compagnie en 2006, elle nous emporte. Tout est élan jusqu’à chavirer : saut, appel, la chorégraphe a choisi l’osmose avec la musique jusqu’à réveiller Beethoven là-haut ou là-bas, allez savoir. Vêtues de robes rouges, les quatre danseuses (Jacqueline Bâby, Noëllie Conjeaud, Elsa Monguillot de Mirman et Marissa Parzei) sont radieuses. Cette pièce exulte. C’est une tempête qui mène les égarés à bon port. “Et là, dit la chorégraphe dans ses observations notées, une intrication prend corps entre la force de vie surgissante de l’être féminin et l’état d’enthousiasme et de désespérance de la musique.” C’est exactement ça. Une pièce effrénée, calée, minutieuse, fort bien écrite.
Marie-Christine Vernay
Jusqu’au 3 décembre à 20h, à la Maison des Arts et de la Culture de Créteil (avec le Théâtre de la Ville et le Festival d’Automne), 01 45 13 19 19. Puis du 15 au 17 décembre, au Théâtre des Amandiers, Nanterre.
[1] “Écrite entre 1824-25, Die Grosse Fuge (La Grande Fugue) est le final du quatuor n°13 en si bémol majeur de Beethoven. Le musicien compose cette pièce “tantôt libre, tantôt recherchée” un an avant sa mort, alors qu’il est déjà frappé par la surdité. La complexité de son architecture et l’âpreté de ses harmonies annoncent le langage moderne des quatuors de Bartok”. Selon Stravinsky, cette œuvre est “immortelle et à jamais contemporaine”. (Extrait du programme)
[print_link]
0 commentaires