Journaliste, critique de danse, Philippe Verrièle et Laurent Paillier, photographe qui capte la scène chorégraphique depuis 1991, se sont retrouvés autour d’un projet singulier : provoquer la rencontre de chorégraphes et danseurs (onze) autour de la peinture. Chacun des invités, majoritairement des jeunes pas forcément connus et reconnus, a planché sur un peintre. Il aura fallu quatre ans de travail, y compris pour l’éditeur courageux [1] pour que le livre sorte enfin, accompagné d’une exposition que l’on a pu voir au dernier festival Uzès Danse.
Inattendu, l’ouvrage prend le contre-pied de l’histoire officielle, renvoyant Degas à ses danseuses et non à la danse qui ne l’intéressa guère. Philippe Verrièle s’en explique : “L’histoire croisée des arts plastiques et chorégraphiques est plutôt celle d’un malentendu fait de mécompréhensions, de rendez-vous moitié manqués et d’exploitations réciproques.” Nous adhérons à ces propos, la danse n’ayant été pour les peintres qu’un sujet. Avant que les Ballets Russes n’opèrent un vrai rapprochement entre ces disciplines.
Partant de ce constat et de ce point de vue, les auteurs ont choisi des peintres en concertation avec les danseurs et chorégraphes, en commençant par Kandinsky et le Bauhaus. Perrine Valli a relevé le défi d’une “construction symphonique-architectonique” selon les termes d’Oskar Schlemmer, responsable du département Arts du spectacle au Bauhaus qui définissait ainsi son Ballet Triadique. “C’est en me plongeant, raconte-t-elle, dans l’histoire de Kandinsky qu’est née l’histoire de ce projet : en rentrant un soir dans son atelier, Kandinsky voit dans la pénombre un tableau d’une indescriptible beauté, tout imprégné d’un flamboiement intérieur, des formes et des couleurs mais dont la teneur lui semble incompréhensible. Disposé dans le mauvais sens, il n’avait pas reconnu son propre tableau !” Les photos à partir du travail chorégraphique de Perrine Valli font un effet semblable, les corps n’ont pas le support du sol, les couleurs sont intenses et le grain de la peau à vue.
On peut s’attacher à chacune des danses qui convoque un peintre (Arthur Perole/Constantin Brancusi, Tatiana Julien/Ernst Ludwig Kirchner, Maria Jesus Sevari/Lucio Fontana, Leïla Gaudin/Louise Bourgeois, Malika Djardi/Jackson Pollock, Anne Nguyen/Jean Degottex, Eric Arnal Burtschy/Yves Klein, Erika Di Crescenzo/Jean Rustin, Kaori Ito/Vladimir Velickovic, Mélanie Perrier/James Turrell). Danser la peinture éclabousse : pas de sujet, pas d’objet. À saisir en parcourant le portfolio que Laurent Paillier nous a confié.
Marie-Christine Vernay
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