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Débile profond
| 29 Oct 2019

Insultologie Appliquée. La Terre se réchauffe, les esprits s’échauffent, les chefs d’État s’injurient : l’insulte est l’avenir d’un monde en décomposition. Chaque semaine, la preuve par l’exemple.

Les insultes et injures font l’objet d’un nombre croissant de travaux de recherche car, d’une part, nul domaine ne saurait échapper à la science et, d’autre part, ces études sont extrêmement opportunes par les temps qui courent : on se balance tant de noms d’oiseaux sur Internet comme dans les assemblées parlementaires et les cours d’école qu’il vaut mieux savoir à quoi l’on a affaire.

Des chercheurs canadiens préviennent : « Si l’insulte ressortit à la catégorie lexicale des axiologiques négatifs, elle est aussi et certainement avant tout un acte social porteur de conséquences ». Traduisons : traiter quelqu’un de « gros connard » peut vous coûter une fracture du maxillaire inférieur. Cependant, si vous entretenez avec l’intéressé des relations très amicales, voire complices, celui-ci pourra interpréter le terme de « gros connard » comme une interpellation joyeuse. Auquel cas cet homme sera susceptible de vous répondre : « Pas mal et toi, vieux pédé ? ».

Qu’est-ce que la science a à nous dire sur un sujet aussi délicat ? Eh bien qu’en matière d’insultes le contexte compte autant voire plus que la sémantique. Ou, pour être tout à fait précis, que la caractérisation des axiologiques péjoratifs n’est pas simple, principalement parce qu’ils ne s’inscrivent pas toujours dans la structure séquentielle attendue des paires appellatifs péjoratifs-réponses. Ce qui veut dire en gros qu’il y a du boulot pour une palanquée de chercheurs.

Existe-t-il un moyen infaillible de discerner vraies et fausses insultes ? Oui, et c’est simple : non seulement le contexte d’énonciation ne laisse percevoir aucune tension entre les interlocuteurs, mais le récepteur de l’appellatif péjoratif ne réagit ni par une dénégation ni par une remise en cause implicite du droit d’insulter (réaction décrite par Sacks, 1995). Par exemple, le voisin auquel vous venez de lancer « Salut gros connard » ne va pas chercher sa 22 long rifle mais sort une bière du frigo.

You stupide shit. Let me educate you

Cette analyse du contexte et des réactions — que l’on soit insulté ou insulteur potentiel — devra être effectuée rapidement. En sus, il faudra être capable de la réviser tout aussi rapidement dans le cas d’une réaction tardive du partenaire, dans le cas où ce dernier est un peu long à la détente ou simplement très con, ainsi que vous venez de le lui signifier. L’arrivée d’une bouteille de bière sera un signe positif, pour autant qu’elle ne vous soit pas fracassée sur le crâne.

Rentre chez toi, ta femme t’attend

Prenons un exemple. En avril dernier, Jérôme Rodrigues, l’une des figures des Gilets jaunes, venait d’achever une interview sur BFM TV lorsque le député LREM Jacques Marilossian a réagi à son intervention en le qualifiant de « débile profond ». Cette débilité profonde était-elle à prendre au pied de la lettre ? Était-ce là un clin d’oeil complice ? Voyons le contexte. Rodrigues avait été invité à s’exprimer sur le report des annonces d’Emmanuel Macron en raison de l’incendie de Notre-Dame le 15 avril. Il avait notamment déclaré : « Le monde a l’air de s’arrêter de tourner quand il y a un incendie en France. Je pense que c’était surtout une stratégie gouvernementale pour aller balancer des infos soi-disant par des fuites et retravailler son discours derrière pour toujours mieux nous vendre son programme électoral. » Le député LREM Jacques Marilossian avait alors commenté à son tour : « C’est d’une grande débilité tout ce que je viens d’entendre. Avant, le débile, il racontait ses débilités au café du coin et à 10h du soir, le patron du café lui disait : “Rentre chez toi, ta femme t’attend. ».

Aujourd’hui, ce genre de scènes se produit sur le plateau de BFM TV, qui est l’équivalent contemporain du café du coin, du moins à l’aune des propos qui y sont échangés. Il eût donc été plus opportun pour Jacques Marilossian de dire à Rodrigues : « Rentre chez toi, ta femme t’attend ». Il n’est pas sûr que l’intéressé l’aurait mieux pris, mais la séquence aurait été plus cohérente. Par ailleurs, cette injonction aurait été largement aussi insultante qu’un diagnostic de débilité.

Mais il y avait peut-être mieux à faire pour coller au contexte historique et patrimonial qui sous-tendait cet échange : invoquer l’image de Quasimodo dansant au milieu des flammes. 

Édouard Launet
Insultologie appliquée

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