La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 10 Mar 2019

Signes précurseurs de la fin du monde : chaque semaine, l’Apocalypse en cinquante leçons et chansons. Ou peut-être moins si elle survenait plus tôt que prévu.

Il y a pire que la fin du monde : la non-fin du monde. Ce serait horrible ! Nous nous sommes peu à peu faits à l’idée que la planète allait vers un crash final, que l’humanité avait si bien préparé son suicide que plus rien ne l’empêchait, pas même un immense sursaut collectif (fort hypothétique il est vrai). Cette pensée lénifiante nous fait oublier tous nos autres soucis, l’anéantissement général est devenu notre unique horizon, notre désir ultime. En avant, calme et droit, vers le chaos terminal. Ainsi soit-il, et bonne chance à tous.

Or voilà que, par miracle, nous survivons. C’est bien embêtant. Que faire des siècles à venir ? Quelqu’un a-t-il un projet ? N’a-t-on pas tout essayé ? Quelle satisfaction tirerions-nous d’un Iphone XI et d’une ixième saison d’Amour, Gloire et Beauté ? Y a-t-il un après-Houellebecq ? Que faire après Jeff Koons et Damien Hirst ? Peut-on encore faire baisser le prix d’un abonnement à Internet ? Mes scores à Tetris et à Candy Crush sont-ils vraiment améliorables ?

Non, la seule perspective qui s’offrirait alors à nous serait : lavages de vaisselle, brossages de dents, courses au Coximarket du coin, repassages, repas, défécations, débats ad libitum sur les chaînes d’info en continu, sudokus, lessives, paiement des factures, mornes séjours dans les isoloirs. Et tout cela jusqu’à une mort solitaire, sans grand feu d’artifice final, dans un corps usé jusqu’à la corde.

Au bout du compte, la fin du monde apparaît, dans sa radicalité, comme l’issue la plus séduisante. C’est même la seule qui s’offre à nous si nous voulons échapper à une éternité d’ennui. Si chacun veut bien y mettre un peu du sien, nous y arriverons vite. Il suffit de ne plus croire en un avenir meilleur, de ne plus se sentir emporté par un grand courant d’espoir, de ne plus avoir de projets. Hélas, il reste ici et là quelques individus qui estiment que la vie vaut encore d’être vécue. Trouvons-les, exterminons-les !

Ou bien, pourquoi pas, encourageons-les et tentons d’y croire avec Maxime Le Forestier :

Des idées folles
Qui s’envolent
Où l’on ne peut aller
À voler plus haut que nous qui sait ce qu’elles vont trouver !
Des couleurs nouvelles
Et des mots inconnus
Et des musiques irréelles
À jamais défendues.
À voler plus haut que nous qui sait ce que tu trouveras !
Comme sur une île,
Reconnaître quelqu’un
Dans les minutes immobiles
Qui n’auront pas de fin.
Emmène-moi, tant pis pour moi
Si je me casse la gueule.
Je resterai là tout seul
Devant les
Pierres blanches,
Pierres noires
Qui sont tombées.

Édouard Launet
Signes précurseurs de la fin du monde

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