“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Marre de cette ambiance funèbre, de ces compagnons endormis, de ces couloirs humides, d’autant qu’il commence à faire vraiment froid en ce début novembre. L’esprit de Victor Hugo s’extrait de la crypte, puis du Panthéon. Il descend la rue de la Montagne-Sainte-Geneviève en quête de quelque estaminet d’où il pourrait suivre, à la télé, le deuxième débat de la primaire de la droite. Mais il pleut. C’est pas de chance, grogne le poète, ma poussière va se transformer en une infâme bouillasse qui finira dans les égouts. Alors tant pis pour la droite : Hugo choisit d’entrer dans le premier cybercafé venu (il en reste) pour regarder ce qui se fait de neuf sur Youtube. Il tombe, mais vraiment par hasard, sur Jean-Luc Mélenchon en train de prononcer à Lille son discours de clôture lors de la convention de son mouvement la France Insoumise. Le poète se dit d’abord que c’est moins ennuyeux que le débat des primaires, cela peut même être drôle par moments. Mais, au bout d’une heure et demie, il commence à s’emmerder ferme.
Soudain Hugo entend Mélenchon le citer : “Aujourd’hui, pour toute la terre, la France s’appelle Révolution ; et désormais ce mot, Révolution, sera le nom de la civilisation jusqu’à ce qu’il soit remplacé par le mot Harmonie.” Tiens, songe Victor, je ne m’attendais pas à ce que le XXIe siècle aille puiser dans mon William Shakespeare de quoi nourrir le débat politique, il s’agit quand même de mon livre le moins lisible. Et que vient faire l’harmonie là-dedans ? Mélenchon s’explique illico : “Harmonie, c’est le sens de notre nouveau symbole (derrière l’orateur, la lettre phi s’affiche sur un grand écran). Il faut que quelqu’un qui ne sait ni lire ni écrire puisse le reconnaître tout de suite.” Phi, alias FI, alias France Insoumise. Bien, mais Hugo ne voit toujours pas le rapport. Jean-Luc lui répond derechef : “Phi, c’est l’harmonie, le chiffre du nombre d’or, de la philosophie, de l’amour de la sagesse. L’harmonie, comme on le dit d’une musique qui, à travers plusieurs notes, est un discours.”
Et subitement Hugo comprend : philharmonie ! Mélenchon est en train de monter un orchestre ! D’ailleurs, moins de deux minutes plus tard, toute la convention se lève pour entonner la Marseillaise. Pas très philharmonique mais stimulant. Devant l’écran de l’ordinateur crasseux sur lequel il regarde cette convention d’esthètes, le poète lui-même se met à chanter, très faux :
Nous entrerons dans la carrière
Quand nos aînés n’y seront plus,
Nous y trouverons leur poussière
Et la trace de leurs vertus
Bien moins jaloux de leur survivre
Que de partager leur cercueil,
Nous aurons le sublime orgueil
De les venger ou de les suivre
Et la poussière d’Hugo s’en retourne au Panthéon, rassérénée, fière même. Et moins seule aussi.
Oui, tous tant que nous sommes, grands et petits, puissants et méconnus, illustres et obscurs, dans toutes nos œuvres, bonnes ou mauvaises, quelles qu’elles soient, poèmes, drames, romans, histoire, philosophie, à la tribune des assemblées comme devant les foules du théâtre, comme dans le recueillement des solitudes, oui, partout, oui, toujours, oui, pour combattre les violences et les impostures, oui, pour réhabiliter les lapidés et les accablés, oui, pour consoler, pour secourir, pour relever, pour encourager, pour enseigner, oui, pour panser en attendant qu’on guérisse, oui, pour transformer la charité en fraternité, l’aumône en assistance, l’oisiveté en utilité, l’iniquité en justice, le bourgeois en citoyen, la populace en peuple, la canaille en nation, les nations en humanité, la guerre en amour, le préjugé en examen, les frontières en soudures, les limites en ouvertures, les ornières en rails, les sacristies en temples, l’instinct du mal en volonté du bien, la vie en droit, les rois en hommes, oui, pour ôter des religions l’enfer et des sociétés le bagne, oui, pour être frères du misérable, du serf, du fellah, du prolétaire, du déshérité, de l’exploité, du trahi, du vaincu, du vendu, de l’enchaîné, du sacrifié, de la prostituée, du forçat, de l’ignorant, du sauvage, de l’esclave, du condamné et du damné, oui, nous sommes tes fils, Révolution !
Édouard Launet
2017, Année terrible
[print_link]
0 commentaires