“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Crypte du Panthéon, 2 octobre 2016, vers 23 heures. Très agité, Victor Hugo fait irruption dans le caveau où repose Gaspard Monge (1746-1818).
Hugo : Dites donc Monge, vous qui êtes un peu mathématicien, pourriez-vous me dire quel genre d’algèbre se joue dans la primaire de la droite ? Il semblerait, si j’ai bien compris, que le candidat de droite risque d’être désigné par les électeurs de gauche dans la mesure où ceux-ci, à défaut de pouvoir voter selon leurs convictions au deuxième tour de la présidentielle, préféreraient voir le centre droit opposé à l’extrême-droite plutôt que d’assister à un combat entre la droite extrême et l’extrême-droite, et, sachant que le gagnant de la primaire de la droite a toutes les chances d’être élu président de la République, ils s’emploieraient à favoriser le moins pire des candidats du camp opposé. Est-ce là, Monge, une équation du trente-sixième degré ?
Monge : Non, mon cher Victor, il ne s’agit pas d’algèbre mais de géométrie. C’est même une géométrie assez simple puisque cantonnée à une seule dimension, celle de la droite.
Hugo : Il y aurait donc, mon ami, une géométrie de droite et une géométrie de gauche ?
Monge : Non, je veux dire que la géométrie à une seule dimension est celle de la droite, vous savez, ce trait rectiligne qui passe par un point A et un point B. La géométrie du plan, à deux dimensions, est elle plus complexe. Quant à celle du volume, à trois dimensions, elle l’est plus encore. Victor, savez-vous comment on calcule le volume d’un dodécaèdre ?
Hugo : Non, et d’ailleurs je m’en fous absolument. Mais j’aimerais tout de même obtenir une réponse précise à cette question sur la primaire.
Monge : La meilleure réponse que j’y puisse faire se résume à ceci : votre problème est mal posé car il est impossible de le résoudre dans une seule et unique dimension. C’est généralement le cas en politique, quand bien même les sièges des hémicycles sont disposés de manière plus ou moins linéaire, avec deux bords opposés comme vous le savez.
Hugo : Je m’y perds un peu mais admettons. Combien en faudrait-il de, euh, dimensions pour y voir clair ?
Monge : Eh bien je dirais au moins trois. Peut-être quatre. Lorsqu’on doit transporter des terres d’un lieu dans un autre, on a coutume de donner le nom de Déblai au volume des terres que l’on doit transporter, et le nom de Remblai à l’espace qu’elles doivent occuper après le transport. Le prix du transport d’une molécule étant, toutes choses égales par ailleurs, proportionnel à son poids et à l’espace qu’on lui fait parcourir, et par conséquent le produit du transport total devant être proportionnel à la somme des produits des molécules multipliées par l’espace parcouru, il s’ensuit que, le déblai et le remblai étant donnés de figure et de position, il n’est pas indifférent que telle molécule du déblai soit transportée dans tel ou tel autre endroit du remblai, mais qu’il y a une certaine distribution à faire des molécules du premier dans le second, d’après laquelle la somme de ces produits sera la moindre possible, et le prix du transport total sera un minimum. Voilà, en gros, le problème qu’il faut résoudre.
Hugo : Là, mon entendement renonce définitivement. La politique est-elle chose si ténébreuse ?
Monge : Je vais simplifier. Au premier tour de la présidentielle, vous voteriez pour qui, mon cher Victor ?
Hugo : Je ne sais pas. Probablement pour moi.
Monge : Et au second ?
Hugo : Pareil.
Monge : Alors pourquoi vous préoccupez-vous de la primaire de la droite et du centre ?
Hugo : Parce que j’aimerais donner des conseils à ceux qui ne voteront pas pour moi. Il faut aider les parisiens. (Hugo lève les mains au ciel et déclame.) Toujours Paris s’écrie et gronde, nul ne sait, question profonde, ce que perdrait le bruit du monde le jour où Paris se tairait.
Monge : Oui mais quel genre de conseils ?
Hugo : Je ne sais pas, moi, c’est bien pour cela que je suis venu vous consulter, ô illustre savant !
Monge : Mais je ne le sais pas plus que vous, ô poète ! Pourquoi ne pas leur parler de déblayage et de remblayage, du moment que ça rime ? Faites des vers, mon vieux, c’est votre partie.
Hugo sort de chez Monge et songe. Bientôt on entend sa voix s’élever dans les couloirs de la crypte :
J’ai remarqué que l’homme, infirme et pâle ébauche,
N’a rien que la main droite, et tout au plus la gauche,
Ce qui fait que toi, prince, homme, auguste animal,
Tu portes bien la force et la justice mal ;
Alors j’ai médité, voulant dépasser l’homme ;
Et, sûr de mon bon droit, mais d’emphase économe,
Bienveillant, point hâbleur, discret sous le ciel bleu,
Réparateur obscur des lacunes de Dieu,
A force de songer et de vouloir, à force
De sonder toute chose au-delà de l’écorce
Prince, et d’étudier à fond le coeur humain,
J’ai fini par avoir une troisième main.
Celle qu’on ne voit pas. La bonne.
Édouard Launet
2017, Année terrible
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