La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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Les doubles faces d’une Maison magique
| 14 Juin 2016

Deux habitacles se regardent, dans la pénombre, entre ombres et lumière, entre sons ou silence : à l’entrée, Chigi House est une structure en bois, ouverte, où l’on peut s’asseoir, signé par l’atelier d’architecture tokyoïte Bow-Wow. Au fond, A Home is not a Hole (la maison n’est pas un trou) est un polyèdre blanc, comme une lanterne fermée, où il est impossible d’entrer, conçu par Didier Faustino et son bureau parisien des Mésarchitectures, avec son associé Pascal Mazoyer. Deux propositions qui à première vue se heurtent.

Atelier Bow-Wow et Didier Fiuza Faustino, La Maison Magique, 2016 © Graziella Antonini

Atelier Bow-Wow et Didier Fiuza Faustino, La Maison Magique, 2016 © Graziella Antonini

Ces deux installations constituent une seule œuvre, La Maison magique, produite par la Maison de la culture du Japon, dont le commissaire est Hou Hanru, directeur du musée Maxxi à Rome. “Le visiteur est invité à éprouver ces deux architectures, explique-t-il, dans une atmosphère poétique inspirée de L’Éloge de l’ombre de l’écrivain japonais Junichirô Tanizaki et du concept de ‘l’inquiétante étrangeté’ énoncé par Sigmond Freud… Cette exposition permet de repenser les problèmes d’espace, de questionner la relation entre les individus et leur intimité.”

Quel chemin commun ont emprunté ces deux ateliers d’architectes pour concevoir les deux faces si différentes de cette Maison magique ? Ils ont choisi tous deux de travailler le bois, prélevé au Portugal, dont Faustino est originaire. Pour revitaliser des forêts mal entretenues, repenser la production des matériaux et l’économie locale.

Atelier Bow-Wow, Chigi House, 2016 © Graziella Antonini. Un article d'Anne-Marie Fèvre dans délibéré

Atelier Bow-Wow, Chigi House, 2016 © Graziella Antonini

Asseyons-nous d’abord dans Chigi House, de Bow-Wow. Sur les gradins, nous devenons spectateurs, nous sommes rassemblés. Sous cette toiture en bois de pin, qui crée un jeu d’ombres, et de lumière, on peut aussi s’allonger. Cette structure à claire-voie, opaque mais transparente, rappelle selon leurs auteurs les habitats traditionnels japonais, nommés machiya. “La maison est fixée au sol et libère l’énergie terrestre vers le ciel”, expliquent les créateurs, comme les toits des premiers sanctuaires japonais, les chigi, qui signifie mille bois. Entre tradition revitalisée et désir de mettre en réseau nos corps, Bow-Wow propose d’habiter le monde à la fois collectivement ou intimement. En créant un lieu protégé mais ouvert sur l’extérieur. Cet atelier japonais (composé de Yoshiharu Tsukamoto, Momoyo Kaijima et Yoichi Tamai) est connu pour leur Pet Architecture, des petits bâtiments conçus sur de minuscules parcelles dans les interstices de leur ville ultra dense. A Paris, ils ont réalisé des logements rue Rebière, dans le XVIIe. Ils étudient particulièrement les relations entre individus, milieu bâti et espace urbain.

Didier Fiuza Faustino, A home is not a hole, 2016 © Graziella Antonini. Un article d'Anne-Marie Fèvre dans délibéré

Didier Fiuza Faustino, A home is not a hole, 2016 © Graziella Antonini

Quand on fait ensuite le tour de A Home is not a Hole de Faustino, on se cogne contre ce beau polyèdre hermétique, aux arêtes en rondins, aux parois translucides blanches, en forme de lanterne. En équilibre sur l’un de ces côtés, instable, cette cellule exclut l’usager, c’est une anti-maison, une mise en péril, quelque chose qui nous refuse ! D’une “inquiétante étrangeté”. Cette sculpture impraticable devient un refuge mental, une cabane de souvenirs d’enfance, une navette spatiale. Faustino fait appel à la fois à la science-fiction et à la psychanalyse pour casser les repères, déséquilibrer les usages et la notion d’habiter, et placer le corps en situation instable. Pour inciter à voyager au fond de soi, vers un paysage intérieur. L’artiste-architecte Didier Faustino est l’auteur de nombreuses installations-fictions, subversives, critiques qui mettent en scène les rapports conflictuels entre nos corps fragiles et l’espace urbain. À Bordeaux, il livre à la réflexion l’installation Builthefight : des pieds de barrières anti-émeutes sont mobiles pour reconstruire des espaces d’occupation et de contestation dans la ville, en écho aux mouvements Occupy Wall Street ou Nuit Debout en France [1]. Il explore aussi la question du genre.

Finalement, dans leur mise en tension, entre harmonie et blocage, les deux petits pavillons de la Maison magique se complètent, et distillent des questionnements. Ils sont tous deux doubles, nous avons besoin de l’un et l’autre. 

Anne-Marie Fèvre

[1] Exposition “Constellation.s”, Centre d’architecture Arc en Rêve, 7, rue Ferrère, 33000, Bordeaux. Jusqu’au 25 septembre.

Exposition “La Maison magique”, Maison de la culture du Japon, 101 bis, Quai Branly, 75015, Paris, jusqu’au 30 juillet. 

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