La revue culturelle critique qui fait des choix délibérés.

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| 08 Jan 2017

Un marcheur à New York. Journal d’exploration urbaine (hiver 2016-2017)

Aujourd’hui, j’ai été travailler à la bibliothèque de NYU, immense cloître vertical d’un immeuble entier de 15 étages. Tout s’organise donc autour du vide central, et, du haut de la bibliothèque, c’est assez impressionnant. Mais j’ai tout de même trouvé qu’autour de ce vide il n’y avait pas grand-chose, en tous les cas pas assez de places : je me suis retrouvé coincé près des toilettes au 7e étage, sur un minuscule bureau. Il y a des étudiants partout, notamment dans les coursives, sur le pourtour des étages, accroupis et assis par terre. Certains dorment, allongés sur la moquette de tout leur long, d’autres ronflent affalés sur leur table. Enfin, un univers surchargé. Mais c’est la période des examens, et me dit-on, tous révisent. Pas le meilleur moment pour trouver une place en bibliothèque.

Ce n’est pas très étonnant, quand l’on sait que NYU fait de la surenchère dans le recrutement, étant passée ces trois dernières années de 20% de reçus à 25% à l’entrée (les universités les plus prestigieuses, « Ivy League », Harvard, Princeton, Columbia ou Yale sont à 5%), ce qui fait aujourd’hui un total de 55 000 étudiants sur le campus, répartis autour de Washington Square… Une masse énorme et des revenus plus importants, car la plupart payent assez cher leur éducation à l’université.

En fin d’après-midi, après cette expérience de bibliothèque un peu décevante, je suis allé me promener. Une heure et demie seulement, mais une jolie balade : descente vers le sud par Wooster Street, la rue qui demeure la plus déglinguée de Soho (malgré quelques boutiques d’un chic décadent, tout de même), avec arrêt devant le « performing garage » du Wooster Group, et les grandes photos de Jim Clayburgh, Willem Dafoe, Elizabeth LeCompte, les membres fondateurs de ce qui fut (et reste, avec une longévité rare) le nerf le plus vif du théâtre expérimental new-yorkais depuis les années 1970. Puis passage à Tribeca et remontée à l’ouest par Hudson Street, jusqu’au retour par Bleecker Street, et les institutions voisines de mon appartement, où je m’arrête toujours quelques minutes pour rêver : les gros jambons qui pendent chez Ottomanelli, les spécialités libanaises de Hamousheh, les gâteaux « à la française » de Chez Chloe (un Paris-Brest, Saint-Honoré, ou même un… Merveilleux, deux ou trois fois plus gros qu’à Paris : ils savent vivre ici !), enfin le bar Red Lion qui est, paraît-il, un club de jazz assez réputé…

Bref, je me suis léché les babines… j’ai pensé à ma fille Loulou devant le mille-feuille qu’elle adore, et j’ai été faire mes courses ensuite en bas de l’immeuble, au Morton Williams, une chaîne de supermarché, avec ce soir au menu une soupe miso, un taboulé oriental et un… steak trop cuit. Misère !

Cette nuit, beaucoup de voitures de police et d’ambulances passent sous mes fenêtres ou non loin, sirènes hurlantes et gyrophares à plein tube. Qu’y a-t-il ? Je ne sais et ne veux pas le savoir… Je vis ma vie, New York la sienne, les deux se croisant en pointillés et de manière éphémère quand je sors marcher mes quelques heures quotidiennes.

Le sport national de l’East Village, le samedi, semble être le séjour chez le coiffeur, qui fait aussi manucure, barbier, et même, en fond de boutique, sauna et massage. La décadence, ici, se marque par la multiplication de ces barber shops d’un genre nouveau sous toutes les formes possibles, de la minuscule échoppe individuelle jusqu’au multiplexe de la coiffure qui assaisonne les touffes par treize à la douzaine : trente, quarante, cinquante postes de travail sur la chevelure en enfilade, beaucoup occupés, avec manucures qui s’affairent sur les mains tandis que coiffeurs et coiffeuses, à part égale, coupent les tifs. La répartition filles/garçons est assez stricte chez les clients, gentlemen only et women only, mais beaucoup moins chez les coiffeurs, très mixtes, officiants à ciseaux de ce rite post-moderne. 

Antoine de Baecque
Degré zéro

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