“2017, Année terrible” : chaque semaine, une petite phrase de la campagne des présidentielles passe sous l’hugoscope. Car en France, lorsqu’il n’y a plus rien, il reste Victor Hugo.
Le 7 février, au lendemain de son acte de contrition et de ses « excuses », François Fillon partait à Troyes pour tenter de reprendre une campagne « normale ». Las ! Il y fut accueilli par des militants communistes agitant une banderole sur laquelle on pouvait lire : « C’est de l’enfer des pauvres qu’est fait le paradis des riches. » Une formule extraite de l’Homme qui rit. Victor Hugo est décidément omniprésent dans cette présidentielle. Nous sommes allés au Panthéon recueillir les commentaires du grand homme, mort et sans cesse déterré.
Délibéré : Monsieur, la campagne de l’élection présidentielle 2017 résonne de…
VH : Refermez la porte, il y a déjà bien trop de courant d’air dans cette cave. Quel temps fait-il dehors ?
Délibéré : Il y a un petit air de printemps. Victor Hugo, que pensez-vous de cette campagne ?
VH : Qu’on en parle trop. Cela m’embête car, du coup, il y a moins d’articles sur les drones et les clowns maléfiques. C’était tout de même plus rigolo. Les drones ont-ils arrêté de voler ? Les clowns sont-ils démaquillés ?
Délibéré : N’êtes-vous pas heureux d’être si souvent cité ?
VH : Je me souviens avoir dit sur mon lit de mort quelque chose comme « Il est bien temps que je désemplisse le monde ». Eh bien on peut dire que j’ai échoué.
Délibéré : Vous êtes cité par presque tous les camps.
VH : Oui voilà : j’ai légué au monde un supermarché de la citation. Qu’ils en profitent, c’est libre de droits. Après tout, j’ai assez noirci de papier pour que l’on trouve dans mes œuvres de quoi nourrir n’importe quel discours. Même Marine Le Pen, c’est dire…
Délibéré : On sent un peu d’amertume dans vos propos.
VH : Vous trouvez ? Ce n’est pas si étonnant dans le fond, l’amertume est partout, le rêve nulle part. Mais je n’aime pas voir la trace de mes lèvres sur la coupe d’amertume où tous boivent aujourd’hui. Tiens, je viens de m’auto-citer. S’il vous plaît, laissez-moi me rendormir…
Délibéré : On vous cite au contraire pour réveiller l’espoir.
VH : L’espoir d’en revenir au XIXe siècle ? Non, c’est vers l’avenir qu’il faut se tourner. Ca vaut combien un drone par les temps qui courent ?
Délibéré : Vous aimeriez que l’on parle moins de vous ?
VH : N’allons pas jusque là. J’aimerais surtout qu’on ne rabâche pas les mêmes phrases, qu’on varie un peu.
Délibéré : Des suggestions ?
VH : Que dit-il, le brin d’herbe ? Et que répond la tombe ? Aimez, vous qui vivez ! On a froid sous les ifs. Lèvre, cherche la bouche ! Aimez-vous ! La nuit tombe ; soyez heureux pendant que nous sommes pensifs.
Délibéré : C’est difficile à placer dans un meeting, même chez les Verts.
VH : C’est pourtant programmatique, comme ils disent.
Délibéré : Mais dans un registre plus politique ?
VH : Bornons-nous à supplier les grands peuples de ne pas reculer trop loin quand ils reculent. Il ne faut pas, sous prétexte de retour à la raison, aller trop avant dans la descente.
Délibéré : C’est un appel à la révolte ?
VH : La mort sur la barricade, ou la tombe dans l’exil, c’est pour le dévouement un en-cas acceptable.
Délibéré : Vous n’êtes pourtant pas mort en exil.
VH : J’en viens parfois à la regretter.
Délibéré : Ni mort sur une barricade.
VH : Je veux bien essayer de nouveau, mais le pavé se fait rare à Paris et je n’ai plus l’âge. Dites-moi, connaissez-vous cette histoire ? Sur une barricade, un enfant de douze ans est pris avec des hommes.
– Es-tu de ceux-là, toi ? dit l’officier.
L’enfant répond : Nous en sommes.
– C’est bon, fait l’officier, on va te fusiller. Attends ton tour.
L’enfant voit des éclairs briller et tous ses compagnons tomber sous la mitraille. Il dit à l’officier :
– Permettez-vous que j’aille rapporter cette montre à ma mère ?
– Tu veux t’enfuir ?
– Je vais revenir.
– Où loges-tu ?
– Là, près de la fontaine. Et je vais revenir, monsieur le capitaine.
– Va-t’en, drôle !
L’enfant s’en va. Piège grossier !
Et les soldats riaient avec leur officier,
Et les mourants mêlaient à ce rire leur râle.
Mais le rire cessa, car soudain l’enfant pâle,
Brusquement reparu, fier comme Viala,
Vint s’adosser au mur et leur dit : me voilà !
Édouard Launet
2017, Année terrible
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