Comment mettre la musique en fiction ?
On se souvient peut-être, dans la veine des biographies romancées, de l’excellent Ravel de Jean Echenoz. Avec son sens de la concision hors-pair, Echenoz nous faisait accéder, dans le récit des dix dernières années de la vie du pianiste, aux faits minuscules de cette grande vie – clin d’œil à Pierre Michon. Echenoz évoquait notamment les mains de Ravel, pas faites pour le piano, et ce d’autant plus que Ravel était paraît-il trop fainéant pour améliorer son jeu. Il parlait de sa peur de manquer de cigarettes – des Gauloises –, de ses triomphes, de sa désinvolture, de sa passion pour les bals de 14 juillet, mais aussi du Ravel homme de son temps, celui des machines, des usines et de la naissance du jazz. Tous ces éléments en disaient long, l’air de rien, sur le compositeur du Boléro et sur ses sources d’inspiration, alors même que Jean Echenoz ne semblait pas écrire véritablement sur la musique.
Ces jours-ci, un film et un spectacle font également le pari, chacun à sa façon, d’approcher le mystère de la musique : Comme une pierre qui, d’après Greil Marcus, dans une mise en scène signée Marie Rémond et Sébastien Pouderoux, et Marguerite, de Xavier Giannoli, sorti sur les écrans le 16 septembre. Théâtre et cinéma n’ont bien sûr pas les mêmes outils à disposition, et les sujets traités ne sont pas ici a priori comparables. Dans Comme une pierre qui, il s’agit de s’intéresser à la séance d’enregistrement d’une chanson qui va marquer l’histoire de la musique : Like a Rolling Stone, par Bob Dylan et les musiciens qu’il avait réunis un jour de l’année 1965 dans un studio new-yorkais. Chez Giannoli, le personnage de Marguerite est inspiré par Florence Foster Jenkins, une riche américaine persuadée de son talent lyrique, alors qu’elle chantait de façon épouvantable. Stephen Frears vient d’ailleurs de réaliser un biopic qui lui est consacrée, avec Meryl Streep dans le rôle-titre. Dans les deux cas, il s’agit malgré tout de résoudre une seule et même énigme : quel est ce lien mystérieux qui lie une personne à la musique ?
Sur la scène du Studio-Théâtre de la Comédie Française, les comédiens relèvent le défi en véritables musiciens, en ajoutant à la difficulté d’interpréter des personnes bien réelles celle d’interpréter la musique en live. Dans le film de Giannoli, si Catherine Frot a bien pris des cours de chant, ce n’est pas sa voix que l’on entend pour les séquences chantées, mais celle d’une chanteuse lyrique. Chanter faux aussi bien requiert en effet de savoir chanter juste. Sébastien Pouderoux, lui, joue non seulement de la guitare et de l’harmonica, mais il chante aussi sur scène. Pour cet exercice à haut risque, le comédien a choisi de chanter à la manière de Dylan, sans chercher la ressemblance la plus parfaite. Choix judicieux et magnifiquement tenu, jusque dans un moment de déclamation en v.o. des paroles fleuves d’une autre chanson de Dylan, consacrée à Woody Guthrie. Si le théâtre, ici, ne triche pas, le cinéma, lui, peut se le permettre, sans que cela n’enlève rien à la qualité intrinsèque du film de Xavier Giannoli. En effet, qu’est-ce qui compte pour le spectateur, si ce n’est la qualité de l’émotion ressentie, le frisson ou l’empathie ? Autant de sensations qui naissent ici du travail dramaturgique.
Une écriture servie par une mise en scène et par des comédiens : voilà ce qui permet d’approcher au plus près cette relation forcément singulière entre un individu et la musique qui émane de lui. Si la musique est souvent considérée comme l’art le plus pur, parlant à tous, sans distinction de langue ou de culture, on voit cependant que l’on peut, par l’écriture ou à partir de l’écriture, pénétrer au cœur de l’énigme.
Quant à la mise en fiction de la peinture, autre vaste sujet, elle fera l’objet d’un prochain Bentô.
Arnaud Laporte
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