Ça commence bien et pas si bien. Un Monsieur Loyal pince sans rire entreprend de chauffer la salle en la prenant gentiment à rebrousse poil, avec en ligne de mire les bobos venus s’encanailler dans un théâtre délabré après avoir enjambé les migrants campant sur les trottoirs au cœur d’un quartier qui craint. C’est drôle, un peu trop facilement efficace ; et cela tourne ensuite à la séance interactive, où tout le monde est invité à se prendre la main et à exprimer sa colère. Entre démagogie et second degré, on ne sait pas sur quel pied danser et l’on peut d’autant plus choisir de garder sa main dans sa poche que la salle suit à fond. La suite est bien moins balisée et même de mieux en mieux.
Jusque dans vos bras, nouvelle création des Chiens de Navarre, reprend des procédés chers au collectif, à commencer par une construction au fil de saynètes ou de numéros où les situations de départ – souvent une réunion amicale ou de famille – dégénèrent. Dans Jusque dans vos bras, c’est d’abord un enterrement très officiel – le cercueil est drapé de tricolore– qui se termine en pugilat sanglant autour du cadavre renversé. C’est ensuite un déjeuner sur l’herbe entre trentenaires parisiens – encore les bobos – qui vire au déballage abject – racisme, homophobie – dans une surenchère outrancière pour le coup pas du tout rassurante. Mais l’essentiel n’est peut-être pas là : au second plan, un type à poil s’enduit d’huile pour se faire bronzer au soleil, exhibitionniste indifférent à ce qui l’entoure, et l’incongruité de cette image achève de donner à la scène une dimension où le loufoque le dispute au cauchemar.
Les comédiens des Chiens de Navarre ont des corps qui parlent, et c’est une de leurs forces. Ainsi dans cette même scène du déjeuner, une comédienne évoque son rapport au président de la République en deux mimiques, ou deux figures de pantomime, introduites chacune par un mot. On en saisit aussitôt le sens – « Avant : je pouvais pas ; aujourd’hui : bon… » et son geste silencieux est bien plus évocateur qu’une tirade. Ce travail des corps – danse et cirque ne sont jamais loin – n’est pas seulement un contrepoint humoristique, il aide à décaler le discours, et quelquefois à rattraper ses points faibles.
La troupe s’attaque cette fois à un sacré os : l’identité française, au fil de tableaux que traversent fantômes et icônes du roman national, dont un général de Gaulle interprété par un géant maghrébin, une Jeanne d’Arc douteuse, un remake d’Intervilles avec sauvetage de migrants… C’est souvent percutant, volontiers étrange, et surtout de plus en plus cafardeux : débarqués sur la lune – ou sur Mars ? – les deux cosmonautes (hybrides improbables de Thomas Pesquet et de flics aux prises à des talkie-walkie récalcitrants) n’arrivent pas à y planter le drapeau tricolore. Et, en bouquet final, Obélix est un Sisyphe épuisé qui en a plus que marre de ces histoires de potion magique et d’irréductibles.
L’identité nationale est un menhir dont on a plein le dos. Et Idéfix un Chien de Navarre.
René Solis
Danse
Jusque dans vos bras, par les Chiens de Navarre, mise en scène de Jean-Christophe Meurisse, Théâtre des Bouffes du Nord, 75010 Paris, jusqu’au 2 décembre (Photo © Philippe Lebruman)
Du 12 au 23 décembre 2017, Théâtre Dijon-Bourgogne – centre dramatique national
Du 10 au 13 janvier 2018, Théâtre Sorano, Toulouse
Le 18 janvier 2018, Le Manège, Maubeuge
Du 23 au 25 janvier 2018, L’apostrophe, Pontoise
Du 31 janvier au 2 février 2018, Le Carré des Jalles, Saint-Médard-en-Jalles
Du 6 au 10 février 2018, Théâtre du Gymnase, Marseille
Du 14 au 15 février 2018, Centre national dramatique d’Orléans
Le 22 février 2018, La Faïencerie, Creil
Le 10 mars 2018, Le POC d’Alfortville
Le 13 mars 2018, Théâtre du Vellein, Villefontaine
Le 16 mars 2018, Les Salins, Martigues
Du 20 au 21 mars, 2018 Le Volcan, Le Havre
Du 28 au 30 mars 2018, Théâtre SortieOuest, Béziers
Du 4 au 5 avril 2018, Maison des Arts de Créteil
Du 13 au 14 avril 2018, TEAT, Sainte-Clotilde
Du 24 au 29 avril 2018, MC93, Bobigny
Du 3 au 4 mai 2018, Théâtre de Bayonne – scène nationale du Sud-Aquitain
Du 16 au 18 mai 2018, Centre national dramatique de Lorient
Du 23 au 25 mai 2018, Théâtre Auditorium de Poitiers
Le 29 mai 2018, Théâtre Paul Éluard, Choisy-le-Roi
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