Quand on monte, entre vignes et champs, vers Goutelas près de Marcoux (Loire), on aperçoit le château bien sûr. Mais aussi un « phare » en bois. Cette haute cabane éphémère est une des sept réalisations de « Construisons des abris de fortune », manifestation orchestrée par le château de Goutelas, Centre culturel. Pour la deuxième édition de ce concours, les architectes et artistes ont été invités à revisiter les gestes et savoir-faire en Loire-Forez. Entraînant dans autant de balades en ce pays, dans l’aura de Goutelas.
Car c’est le château qui kidnappe d’abord tout visiteur ou visiteuse, qui l’enrobe dans une sérénité immédiate. Murs de pierre, tuffeau et basalte, tours et douves, vue sur la plaine… Se laisser ravir par tous les atours de ce large paysage. Avant de plonger dans le plan en H du château. De la cuisine Renaissance à la Chapelle, d’une tour à une chambre, les surprises se bousculent. Les époques se mélangent…
Une histoire assez extraordinaire s’est en effet construite en ces murs. Qui commence en 1558 quand Marguerite de Goutelas vend cette maison forte à Jean Papon. Ce lieutenant général au bailliage du Forez et savant-écrivain la transforme en demeure humaniste de la Renaissance, symbolisée par ce plan en H. Et immortalisée par L’Astrée, roman-fleuve pastoral d’Honoré d’Urfé (1567-1627). Goutelas y est décrit comme « la superbe demeure » du druide Adamas. D’Urfé a fait du Forez une Arcadie, un lieu où règne l’harmonie entre les hommes et la nature. Aujourd’hui, on peut encore se mettre dans les pas du jeune berger Céladon et de ses amours avec la bergère Astrée… Se promener dans les écheveaux de cette pastorale allégorique qui a eu un énorme succès en Europe, au fil du Lignon, une « ruisseau » chanté comme « l’un des plus beaux… vagabond en son cours, aussi bien que douteux en sa source… » De l’illustre Bâtie, demeure d’Urfé, aux Chemins de l’Astrée…
Et Goutelas ? Le château a été progressivement abandonné au XIXe siècle. En 1961, c’est Noël Durand, paysan de Marcoux, qui se trouve l’héritier « bien embarrassé » de ce tas de pierres [1]. Dans la Chapelle, il y a eu des cochons, un arbre, et partout, des ronces, des éboulis, des broussailles… Mais un Forézien originaire de Marcilly, Paul Bouchet, avocat à Lyon, est amoureux de ces ruines d’où émergent pour lui les vestiges d’un authentique château. Un côté Grand Meaulnes. Cet homme engagé, de la guerre d’Algérie à l’UNEF de Grenoble, se met en tête de le sauver. Pas pour lui ! Mais pour faire rejaillir l’idée humaniste qui transpire encore de ces ruines. Et inventer un lieu collectif de culture, de rencontres, de développement en pays rural.
Dans un « défi contre le désespoir », cet avocat, qui plaidait aux Prud’hommes à Lyon, va séduire et réunir une incroyable équipe. Où il y a l’agriculteur Noël Durand qui remet les clés à cette bande, son frère Louis, sa famille, ses associés, ses amis, l’abbé Dumas, le maire Jean Duclos, puis Josette et Paul Païs qui seront plus tard chargés de l’accueil au château, et bien d’autres. Toute une ruche active et obstinée réunit Foréziens et Lyonnais, paysans et ouvriers syndicalistes, réfugiés espagnols et intellectuels, notables et artistes, et des enfants… Dès décembre 1961 est créée la Société civile immobilière de Goutelas. En dix ans de rénovation, 150 000 heures de travail bénévole ont permis de (re)construire « l’esprit de Goutelas ». L’utopie intellectuelle, le pragmatisme paysan et les savoir-faire ouvriers se sont « frotté la cervelle ». Le pari est gagné, avec des catholiques de gauche et des communistes – il n’y avait plus vraiment de gauche ni de droite dans ce collectif. Ils ont « fait ensemble », avec beaucoup d’huile de coude, d’aléas et pas mal d’humour, au rythme de nombreux repas arrosés de Côte-du-Forez.
En 1962 naît le Centre culturel. Cet exploit bâtisseur s’enrichit de prouesses artistiques, grâce au réseau amical de cette troupe si diversifiée. Bouchet invite Jean-Marie Domenach, directeur de la revue Esprit qui débattra dès 1961 au café du village. En 1965, la célèbre émission télé, Cinq colonnes à la une, filme l’épopée Goutelas, elle sera suivie de Chefs d’œuvre en péril. Et l’ami peintre Bernard Cathelin fera venir… Duke Ellington. Le 26 février 1966, dans la cour du château à peine réhabilitée, sans électricité, une rangée de gens lui font une haie d’honneur, torches à la main. Sur un Steinway loué, réchauffé par le poêle du curé, il joue Goutelas’suite, composée pour ces bâtisseurs d’un monde « plus juste et plus beau ». Le Duke : « J’ai été reçu dans bien des lieux dans le monde mais jamais comme à Goutelas, je vous salue frères… » Mémorable. Le mythe rebondit.
Pendant l’été 1966, Marcel Maréchal et sa compagnie du Cothurne donne Tamerlan en plein air à Goutelas. La grande salle en partie restaurée accueille aussi une exposition de lithographies de Chagall, Picasso, Matisse, Miró, Braque, Villon… Goutelas, ou « goûte-là »… C’est l’esprit des luttes utopiques des années 1960 qui s’exprime, se réalise, une expérience fraternelle assez unique que l’on retrouvera à Lip et au Larzac.
Depuis tout ces temps glorieux, ce « laboratoire d’idées » a tenu le coup, devenu propriété de la Communauté de communes depuis 2005. Présidé par Marie-Claude Mioche, il est géré par deux associations de bénévoles. L’une commerciale est consacrée à l’hôtellerie et à l’accueil de séminaires, de juristes aux chambres d’agriculture… ; l’autre reste tournée vers l’action artistique. Autour d’une petite équipe de huit salariés, dont Sarah Wasserstrom, chargée de l’action culturelle.
Le 14 juillet, c’est la fête au château, les Goutelassiens sont au rendez-vous. Le fondateur très âgé, Paul Bouchet, les bénévoles, certains anciens enfants de la balle racontent avec délice leurs aventures… Et tous discutent, projettent, toujours entre fourme de Montbrison et vin du Forez. À l’orée d’un nouvel élan qu’il faudrait redonner à Goutelas, d’un nouveau label national de CCR (Centre culturel de rencontre) attendu, qu’il faut obtenir.
Dans la lignée de toute cette histoire, on inaugure sept Abris de fortune, en partenariat avec des lieux forts et des entreprises du territoire. À la médiathèque de Saint-Just-Saint Rambert, le plasticien canadien Marc Laforest a confectionné une cabane organique et joueuse, Pointes et fenêtres, en carton, verre et rubans. Au lycée agricole de Précieux, 20 élèves ont érigé un donjon en tubes d’acier, Fer-Andole, entre vaches et tracteurs.
À Sainte-Agathe-la-Bouteresse, les créateurs Bihan et Danais rendent hommage à la terre cuite, à la tuile.
Dans l’entreprise Obut, les gestes du joueur de pétanque sont symbolisés par une structure aérienne en tiges métalliques et boules, par l’atelier Newance.
Au Grand Pré, à Saint-Etienne-le-Molard, une grande guinguette auto-construite par des bénévoles passionnés, dans tous les matériaux du pays, invite à regarder la Bâtie d’Urfé.
Mais que fait donc Benjamin Frouin, à pied, de Goutelas à Noirétable ? En colporteur, cet artiste musicologue marche de village en bourg, avec son étrange machine à tresser la corde en fibres naturelles. À l’église de l’Hôpital-sous-Rochefort : machine à fabriquer la corde, de Benjamin Frouin.Une balade initiatique pendant laquelle il a réalisé 13 cordes de dix mètres, devant quelques habitants surpris. La longue tresse ainsi réunie a été installée le 21 juillet, en forêt, sur Le sentier de la Coche au bois de l’Hermitage, en partenariat avec l’association Sens de vie. Un manifeste poétique, qui célèbre ruisseaux et forêt, et fait écho à 13 mesures écologiques qu’il faudrait prendre pour « la Terre et toute sa vie ».
Et il y a évidemment le Phare qui regarde Goutelas et inversement. Dans un grand champ en contre-bas, les architectes Elia Monsonis et Chothilde Buisson ont dressé un monolithe en bois et tuffeau local, qui clignote en son sommet de lueurs argentées, telles des lucioles. C’est une belle structure minimale, apaisante, un lieu d’accueil où l’on peut s’asseoir, une fois encore, pour embrasser cette Arcadie du Forez…
Mais pas seulement, c’es
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