“Jaloux, il met le feu au chat de sa compagne et le jette par la fenêtre.” (Nice-Matin)
Il était jaloux, donc suspicieux et même franchement inquisiteur. Elle a refusé de lui laisser consulter les appels qu’elle avait passés et reçus sur son téléphone portable. Il s’est saisi du chat de sa compagne, l’a arrosé d’alcool et l’a enflammé. Le chat a couru se cacher sous le canapé. Qui a pris feu aussi. Afin d’éviter que les flammes ne se propagent, a assuré l’homme, il a jeté le chat par la fenêtre. Fenêtre assez haut perchée puisque l’appartement se trouvait au septième étage. Arrivé en bas, le chat aplati et grillé était encore vaguement en vie, une vie qu’un vétérinaire convoqué en urgence s’est empressé d’abréger. Le trentenaire jaloux a été placé en garde à vue. Puis a été condamné à deux ans de prison ferme. Nice-Matin, en rapportant l’affaire, a jeté dans son article cette relance en gros caractères : “Sinon je brûle le chat !”.
Drames de la Jalousie, Disputes de Couples qui Dégénèrent, Cruauté envers les Animaux, Téléphone Portable et Société, sont quelques-uns des dossiers dans lesquels les documentalistes de presse (s’il en reste) ont pu archiver l’affaire. Peut-être l’un d’entre eux, sitôt classé l’article, a-t-il eu la bonne idée d’en envoyer une copie aux chercheurs. Pas aux psychiatres, déjà très occupés par ailleurs, mais aux spécialistes de la littérature. Car la jalousie et ses développements sont le carburant d’un nombre incalculable de romans que les successeurs de Gustave Lanson (fameux historien de la littérature) étudient avec gourmandise et trépignements. Or, depuis Proust, il n’y a rien eu de vraiment révolutionnaire sur le sujet, au point que l’université s’impatiente. Elle réclame de la jalousie numérique, de la rupture par texto, du tweet qui fait mal. Ah si les portables avaient existé à l’époque où le grand Marcel écrivait, que de raffinements supplémentaires il eût pu apporter à son oeuvre ! “Albertine, je vois sur l’écran de votre appareil que vous avez reçu à 23 heures et 17 minutes un appel d’une femme que nous savons tous deux être de mauvaise vie, et que vous ne m’avez jamais signalée comme étant une de vos proches relations, ce qui de toute évidence est le cas sinon elle ne vous aurait pas appelée à pareille heure, heure à laquelle moi-même j’essayais de vous joindre sans succès tout en me le reprochant d’ailleurs puisqu’en vous dévoilant ma jalousie, au prix de trop d’unités de mon forfait Carré Vert de SFR, il était à craindre que vous ne la considériez comme une défiance qui vous autorise la tromperie.” Etc. Il eût fallu ajouter deux ou trois volumes à la Recherche pour permettre au grand-oeuvre proustien d’épouser l’époque merveilleuse du sans-fil et du soupçon généralisé qui est la nôtre.
Peu probable qu’après une telle conversation, le Narrateur se soit saisi du chat d’Albertine pour y foutre le feu, plus improbable encore qu’il l’ait ensuite balancé par la fenêtre. De toute façon, Albertine n’avait pas de chat et le Narrateur, lui, ne cherchait pas à soulager ses souffrances via de vils artifices mais au contraire à les prolonger ad libitum. Quand bien même Albertine n’eût possédé qu’un hamster, celui-ci n’aurait jamais craint pour sa vie. Reste cette question : Marcel aurait-il été plutôt Apple ou plutôt Samsung ?
Au moment de clore cette chronique, nous apprenons qu’un militaire de Montauban très alcoolisé a tenté d’étrangler sa femme avant d’attraper le chat de cette dernière et de le projeter contre un mur. Il faut croire que quand les souris dansent, c’est le chat qui trinque.
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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