“150 000 manchots meurent à cause d’un iceberg.” (The Sydney Morning Herald)
Le manchot est un oiseau très mal foutu qui ne sait même pas voler. Il eût fait un meilleur poisson puisqu’il est excellent nageur. C’est d’ailleurs sous l’eau que cet animal trouve sa nourriture. Là est le problème : si vous coupez l’accès à la mer à une colonie de manchots, celle-ci va s’étioler. Imaginez par exemple qu’un énorme iceberg vienne se souder à la banquise sur laquelle s’ébattent nos amis : tout à coup le trajet vers le garde-manger va se trouver considérablement allongé. Eh bien c’est précisément ce qui est arrivé à une colonie de Commonwealth Bay (au sud de la Nouvelle Zélande) lorsque, en 2010, un glaçon de la taille de Rome est venu accoster sous le bec orange et noir des manchots. Soudain il leur a fallu faire soixante kilomètres de plus pour rejoindre l’eau libre. Résultat : les effectifs de la colonie ont dramatiquement fondu, passant en cinq ans de 160.000 à 10.000 individus. Ce qui ne veut pas dire que 150.000 d’entre eux sont morts de faim, comme l’affirme un peu rapidement The Sydney Morning Herald, mais que les oiseaux sans ailes ont dû aller voir ailleurs, tout simplement. D’ici vingt ans, les pauvres bêtes auront probablement toutes migré, estiment les chercheurs qui ont rapporté la nouvelle dans la revue Antarctic Science .
Il y a un siècle, un tel remue-ménage polaire nous aurait laissé complètement froids. À l’époque, on zigouillait volontiers les manchots pour en tirer de l’huile, et il n’était pas rare qu’on en massacre plusieurs milliers en une seule journée. Aujourd’hui, c’est différent : après avoir surexploité les ressources naturelles, l’humanité creuse un gisement sans fond qui s’appelle culpabilité, et il ne lui a pas échappé que les icebergs baladeurs étaient un sous-produit du réchauffement climatique qui lui-même nous est imputable. La question est donc : on fait quoi maintenant pour les pauvres manchots qui ne savent plus où nicher ? Déplacer l’énorme iceberg n’est guère envisageable, au moins d’un point de vue technique. Alors faut-il dépêcher une cellule psychologique en Antarctique ? Envoyer Bernard-Henri Lévy ? Élever d’ores et déjà un mémorial ?
Non, finalement il y a plus opportun : recycler Laurent “COP21” Fabius dans le sauvetage des manchots prisonniers des glaces ! “Bien sûr, déclarera l’ancien ministre des Affaires étrangères aux populations antarctiques, tout ne se résoudra pas à Paris, mais on ne résoudra rien sans Paris. En cet instant, chers amis du Grand sud, j’ai dans ma mémoire et dans le coeur les récits et les visages que j’ai croisés tous ces derniers mois en préparant la COP. Je me rappelle, au Bangladesh, cette femme âgée qui était très fatiguée et très digne, qui avait dû déménager neuf fois à cause des inondations, et qui m’a demandé si la COP21 allait changer cela”, etc. Les manchots écouteront attentivement, demanderont des explications sur tel ou tel point (le Bangladesh ? la COP combien ?), exigeront de savoir si la hausse du niveau des mers peut leur laisser espérer un avenir meilleur, quémanderont des cartes postales avec la Tour Eiffel dessus.
Fabius continuera, la main sur le coeur, le regard embrumé : “Frères manchots, je me rappelle au Grand nord cet ingénieur qui m’a montré les écroulements apocalyptiques de la banquise et leurs conséquences ; à Cochabamba, ce paysan bolivien pleurant les dégâts entraînés par le non-respect de la Terre mère et qui espère pouvoir nous faire confiance”. Le chef des manchots lèvera son moignon d’aile et demandera : “Dis donc Laurent, tu nous aurais pas amené à bouffer, des fois ?”
Et pour conclure, une vidéo :
Édouard Launet
Sciences du fait divers
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