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Chaumont persiste et Signe
| 30 Oct 2016

Quand on arrive à la gare de Chaumont, accueilli par un grand portrait de De Gaulle pour signifier que Colombey-les-deux-Églises n’est pas très loin, la surprise est agréable. Cette gare et ses abords, qui étaient un peu en friche dans cette ville rurale et enclavée, ont été complètement réinvestis. Une rue détournée, un jardin, un énorme cinéma multiplexe conçu par Alberto Cattani, une nouvelle grande place, tout près des anciens silos à grains transformés en 1995 en médiathèque par Patrick Rubin. C’est dans ce nouvel agencement urbain que vient s’inscrire le Signe, Centre national de graphisme, ouvert au public depuis le 8 octobre. Avec ces trois bâtiments, l’architecture contemporaine trouve sa place, ce qui est rare dans une cité de 23 000 habitants.

Le Signe à Chaumont (plan de coupe)

“Il est composé de grands plans posés sur la ville. Il est une abstraction silencieuse prête à recevoir toutes les images”, explique l’architecte parisien Alain Moatti (agence Moatti-Rivière). Ces plans extérieurs sont comme des pages, des écrans, typologies empruntés au graphisme. Minimale mais réchauffée par un parement très fin de pierre un peu blonde, l’extension de l’ancienne Banque de France juxtapose ces pans de murs, tramés de points, reliés par des plans de verre. L’ensemble est mystérieux. Il faut y pénétrer. L’entrée se fait dans l’ancien bâtiment XIXe siècle. Se déroule une longue rue intérieure équipée de tables de découvertes, bordée par un atelier d’impression et des salles de formation. Elle mène vers l’espace d’exposition, le passage entre ancien et contemporain est fluide, signifié par quelques empreintes discrètes du passé.

Le Signe (Chaumont) © Michel Denancé

© Michel Denancé

Le grand plateau du rez-de-chaussée de 600 m2, qui accueille l’exposition “La Collection”, adopte différentes formes et hauteurs, sans limites précises, ce n’est pas un cube blanc. Il crée du mouvement, une géométrie libre, sans gêner les images qui y sont présentées. Une galerie de 400 m2 complète cet espace au premier étage, où se poursuit la présentation. Sur les deux niveaux, les failles vitrées attirent, offrent différents extraits de vues sur Chaumont. La graphiste Juliette Weisbuch (atelier Polymago) orne murs et sols d’un alphabet de 86 Le Signe (Chaumont) © Michel DenancéLe Signe (Chaumont) © Michel Denancésignes évoquant les monuments chaumontais, dont le viaduc. Le bâtiment devient symbolique de la ville, appartient à son paysage. Jusqu’à la terrasse belvédère. On retrouve là le travail d’orfèvre de Moatti-Rivière, déjà exprimé au musée Champollion de Figeac ou à la Cité de la dentelle à Calais.

Le Signe (Chaumont) © Michel Denancé

© Michel Denancé

Et le graphisme ? “La Collection”, conçue par le graphiste Vincent Perrottet, chargé de mission, et Eric Aubert, directeur de la programmation, est dense, entremêle 276 affiches anciennes et récentes, créant un immense collage de bienvenue et de découvertes pour un public large. On y retrouve la donation de 5000 pièces Belle Époque léguées à la ville de Chaumont en 1905 par Gustave Dutailly, singulier collectionneur botaniste. Ce fonds historique, familier et figuratif, de Toulouse Lautrec à Eugène Grasset, a été enrichi au fil des festivals. Où ont été mis en avant les maîtres comme le Polonais Henryk Tomaszewskila ou l’auteur Pierre Bernard (1942-2015) du groupe Grapus, un des acteurs très engagés dans le festival chaumontais. Tout en guettant la plus jeune scène internationale des créateurs, du Néerlandais Richard Niessen au Français Frédéric Teschner, récemment disparu. Le dialogue est organisé par thèmes, du cinéma à la condition féminine, de la consommation à l’écologie, de la typographie à la couleur, de la politique aux symboles… Est créé là un marabout d’images assez réjouissant, de signes forts à décoder, de différentes factures, dans une scénographie de Jean Schneider, très explicite.

“La Collection“ au Signe de Chaumont © Martin Ferrer

© Martin Ferrer

Pour le spectacle et la culture, domaine de prédilection du poster d’auteur, se regardent les images flamboyantes et figuratives de Pal (1855-1942) et le doigt épuré en lévitation du Suisse Niklaus Troxler (né en 1947), annonçant un concert de Cecil Taylor (1989). Une bonne introduction à ce lieu qui a du pain sur la planche.

Comment va vivre ce Signe qui continuera à produire le festival international, à un rythme biennal (celui de 2017 rendra hommage à Pierre Bernard au mois de mai) ? Le Centre proposera deux grandes expositions par an, des ateliers, de la formation, de la recherche, une ouverture aux autres arts. L’équipe, armée de convictions, a le soutien de la municipalité. Mais la question des moyens n’est pas résolue.

Le budget pour faire fonctionner et rayonner le lieu n’est pas au rendez-vous. La ministre de la Culture, Audrey Azoulay, n’était pas, elle non plus, au rendez-vous lors de l’ouverture du 8 octobre. Car l’engagement financier de l’État est toujours en débat. Le Signe, futur Groupement d’intérêt public culturel (GIPC) en cours de création, porté par la ville, la Région Grand Est, l’État, le département, l’Europe, le mécénat et ses ressources propres, disposerait pour l’instant d’un budget d’environ 1,4 millions d’euros par an. C’est plus que juste. “Il faudrait 3 millions d’euros par an pour que cela fonctionne bien, affirme Vincent Perrottet. Le Centre est là, enfin, bien solide, on a peiné pendant dix ans pour l’ouvrir, Pierre Bernard est mort avant de l’avoir vu. Il faut que l’État s’engage. Le ministère de la Culture n’a jamais porté ce projet, ne consacre que 500 000 euros par an pour tout le design graphique en France. On demande 850 000 euros par an, c’est infime par rapport au budget de la culture de 7,3 milliards d’euros, à ce qui est accordé au cinéma, à la musique, au patrimoine… Pourquoi cette discipline culturelle est si peu soutenue en France, pourquoi cet art de faire ne peut être transmis au public ? Si l’État s’engage, cela entraînera la Région, le conseil général… ”

Car, avec des moyens si ric-rac, comment faire venir les étudiants, les professionnels et chercheurs, nationaux et internationaux sans bricoler ? D’autres débats se profilent : quelles orientations, au-delà des affiches, entremêlant toutes les formes du graphisme, de messages : la signalétique, le corporate, le numérique ? Quelle sera l’identité du lieu ? En attendant, Vincent Perrottet, l’enthousiaste, commence à coller des images sur les pans de mur du centre, prévus à cet effet. Le Signe clignote.

Anne-Marie Fèvre

“La Collection“ au Signe de Chaumont © Martin FerrerLe Signe, 1, Place Émile Goguenheim, 52000, Chaumont. “La Collection”, jusqu’au 8 janvier 2017.

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