En troquant son appartement étriqué du boulevard Rochechouart contre une ancienne blanchisserie du XIXème siècle, entièrement rénovée avec jardin en bord de Bièvre, M. Georges Desployer pensait avoir enfin trouvé le lieu idéal où couler une retraite heureuse. Quel bonheur en effet de se retrouver dans une maison de campagne à un peu plus de 30 minutes à pied de la capitale !
Hélas ! ce bonheur ne fut que de courte durée. Deux années à peine après son installation, des bruits suspects ont commencé à troubler le silence de la salle à manger et la quiétude de son occupant.
Des grattements qui semblaient provenir du faux plafond créé à l’occasion de la restructuration du bâtiment. Des oiseaux ou des petits rongeurs avaient-ils pu s’introduire dans cet espace confiné ? Mais par où avaient-ils pu rentrer ? Toujours est-il que les manifestations d’une présence bipède ou quadrupède se firent de plus en plus fréquentes, de plus en plus angoissantes.
M. Desployer commença par taper au plafond avec un parapluie, légèrement, puis beaucoup plus vigoureusement, provoquant des mouvements divers… DANS PLUSIEURS DIRECTIONS ! Il était temps d’agir.
Profitant de l’espace libre entourant le passage du tuyau du poêle en fonte, le retraité introduisit un appareil à ultra-sons censé faire décamper les visiteurs importuns. Dans un premier temps, cet équipement parut efficace, les bruits des cavalcades s’étant tus.
Mais très vite, ils reprirent de plus belle. Il fallut passer à la vitesse supérieure. L’acquisition d’instruments bruyants, crécelle, sifflet à roulette et même une vuvuzella, vinrent compléter l’arsenal du septuagénaire. Ce ne fut pas suffisant.
Il crut alors avoir trouvé l’arme absolue.
Une bombe de gaz lacrymogène d’auto-défense !
Largement vaporisé dans le faux plafond, son effet fut immédiat, le malheureux propriétaire dut aller se réfugier à l’hôtel pendant deux jours avant de pouvoir revenir chez lui…
Et encore, équipé d’un masque FFP2 qui lui restait du fâcheux épisode COVID !
Une grande aération fut nécessaire pour chasser les dernières larmes. Pourtant, une odeur putride continuait à flotter dans la pièce.
Une odeur de mort !
Aucun doute, cette puanteur provenait du poêle. Et pour cause ! Ce n’était pas un raton mort qu’il trouva, mais deux qui gisaient lamentablement, dont un dans un cendrier posé sur le marbre !
Des rats qui tombent du plafond, c’était plus que ne pouvait supporter l’infortuné M. Desployer. Cette fois, il fallait utiliser les grands moyens.
Un échelle fut vite installée, sur laquelle, muni d’une perceuse, il se mit à perforer frénétiquement le plafond. Au dessus de sa tête ce ne fut plus alors qu’affreux tintamarre et bruits de courses éperdues, les clandestins se bousculant vers des sorties connues d’eux seuls.
Du sang se mit à couler par les trous!
Encouragé par ce premier succès, M. Desployer passa des simples mèches à la scie-cloche. Le faux plafond commença à ressembler à un énorme gruyère.
Une pluie de rongeurs morts victimes de ce terrible carnage tombaient comme à Gravelotte et jonchaient le sol. Quelques rares éclopés essayaient tant bien que mal d’échapper à l’impitoyable justicier.
Un loir et un furet totalement paniqués cherchèrent leur salut au premier étage.
C’est le moment que choisit M. Desployer pour donner le coup de grâce en enfumant son domicile.
Deux minutes plus tard, un feu d’enfer grondait dans le poêle, resté grand ouvert afin de laisser la fumée envahir toute la maison.
Hélas ! Pendant que le chasseur forcené se ruait à l’étage pour y massacrer les fuyards de tous poils, des tisons roulèrent sur le tapis, enflammèrent les tissus qui couvraient les fauteuils. En un instant la pièce ne fut plus qu’un gigantesque brasier qui gagna aussitôt toute l’ancienne blanchisserie.
M. Desployer eut à peine le temps de se précipiter dehors par la coursive du premier étage quelques secondes avant l’effondrement du faux plafond.
À l’arrivée des pompiers, c’est un homme prostré qu’ils trouvèrent assis dans la cour, à même le pavé, près d’une centaine de rongeurs carbonisés ou agonisants.
« Au moins, à présent, il n’y aura plus de mites! » répétait-il sans cesse.
Ah oui, nous avions oublié de dire que du rez-de-chaussée au deuxième étage, la maison était aussi infestée de ces fâcheux lépidoptères kératophages!
Henri Soucape. Envoyé spécial à Cachan (Val-de-Marne)
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