et je me souviens très bien de ses paroles, ce jour-là, où il a parlé de son projet de livre. C’est resté un projet. On entendait par le conduit de cheminée les voisins crier. Ça je n’en veux plus ! On ne comprenait pas tout. Tais-toi ! Il riait. Il disait : Il n’y a que le malheur des autres qui me fasse rire. Rien tant que quelqu’un qui se casse la figure. Les blagues, les jeux de mots non. Je suis un type grave, j’ai toujours été grave. Enfant, sur les photos, je ne souris pas. Fous le camp maintenant ! Fous le camp ! Quand ils hurlent comme ça, ils ont tous les deux la même voix suraiguë, on ne peut pas savoir qui gueule, c’est ça aussi qui me fait rire. Grave, ça vient du latin, gravis, pesant. Je suis un type lourd. Une tombe. Rien de moins aérien, ni de moins drôle. Je me souviens d’un claquement de porte qui nous a fait sursauter. Bon débarras ! Crève ! Puis le silence. D’ailleurs en anglais, grave, c’est la sépulture. C’est fait pour moi. J’adore les cimetières. Un jour où je cherchais un appartement, j’en ai visité un qui donnait sur le Père-Lachaise, directement, formidable. Angélique n’a pas voulu. Nous achetions à deux, il n’y a pas eu moyen de négocier. Certains marchent en forêt, en montagne, font le sentier des douaniers. Moi, ce sont les cimetières. Ça a recommencé chez les voisins. Tu croyais peut-être que j’allais — un mot inaudible. Fous le camp, je te dis ! Un jour j’écrirai un livre qui sera comme un cimetière. On s’y promènerait parmi les extrémités du temps. On se sentirait seul vivant et d’une liberté à retenir son souffle. On irait à l’improviste, entre les lignes. On entendrait les pas, les battements de sa lecture. Les mots le disputeraient au silence et les grandes phrases ne frapperaient plus que par leur vanité. Vanité, c’est le dernier mot dont je me souviens de cette conversation. Enfin, conversation, je n’ai quasiment pas ouvert la bouche. Il n’a pas