Les grands moments du foot, les Euro, les Coupes du monde sont pour moi des moments privilégiés de rencontres entre amis, de célébration de l’amitié. Nous dinons devant un bel écran télé, chez les uns et chez les autres, et vivons les matchs tous ensemble. C’est notre façon à nous d’aimer le foot. Apéro avant le match, puis tension, enthousiasme ou, il faut bien le dire, parfois ennui profond que l’on combat en parlant de choses et d’autres, en jetant un regard distrait sur l’écran. Puis un bon plat avalé à la mi-temps avant de replonger.
Hier, devant Allemagne-Pologne, malgré un score final bien terne, 0-0, nous ne nous sommes pas ennuyés un instant. Le match était vivant, engagé, très physique. Ce n’est plus l’équipe d’Allemagne triomphante qu’on a connue, ni même la belle mécanique bien huilée qui a battu l’Ukraine dimanche dernier. L’attaque a beaucoup tenté et peu ou pas réussi. Pas d’imagination, toujours les mêmes combinaisons, prévisibles. Manque de rapidité dans les transmissions vers l’avant. Et, le plus surprenant, des hésitations au moment des derniers gestes, la passe décisive et le tir au but. Si l’attaque est hésitante, la défense est bétonnée, comme celle de la Pologne. Dans la phase des poules, pour l’instant, priorité aux défenses. La France est une exception avec ses conclusions époustouflantes.
Dans les tribunes, les supporteurs polonais l’ont largement emporté sur les supporteurs allemands. Cela ne permet pas de donner la victoire en cas de match nul ? Dommage.
Après le match, pour prolonger le plaisir d’être ensemble, nous avons dégusté le dessert en écoutant les commentaires d’après match des spécialistes : 50% sur les trois matchs de la journée, 50% sur l’équipe de France, qui ne jouait pas. Admettons… L’essentiel de ce commentaire portait sur cette question décisive : Pogba a-t-il oui ou non fait un bras d’honneur après le match contre l’Albanie ? Nous revoilà embourbés dans la logorrhée habituelle : “les joueurs de foot doivent être exemplaires, un exemple pour la jeunesse” et autres variantes. Je n’arrive pas à comprendre pourquoi les joueurs de foot, eux et eux seuls, devraient être exemplaires. Nous acceptons sans broncher qu’un célèbre escroc préside notre Conseil Constitutionnel pendant cinq ans, nous réélisons sans faiblesse des députés connus pour détourner l’argent public et frauder le fisc, nous nous apprêtons à voter pour des candidats à la présidentielle dont certains sont repris de justice ou en délicatesse avec elle, mais nos footballeurs devraient être exemplaires ? Mystère. On a même entendu récemment certains de nos grands patrons justifier leur salaires astronomiques en les comparant à ceux des footballeurs. Les footballeurs sont devenus le modèle et la norme. Entre amis, nous en avons bien ri.
Nous aimons le beau jeu, nous aimons l’émotion, nous sommes fiers de ce sport ultra populaire, seul phénomène culturel de portée mondiale qui échappe encore à l’hégémonie normative américaine. Mais s’il-vous-plait laissez jouer les joueurs.
Dominique Manotti
Dominique Manotti : agrégée d’histoire, spécialiste de l’histoire économique du XIXe siècle, militante politique, elle a notamment reçu en 2010 le Trophée 813 pour Bien connu des services de police (2010), le Grand prix de littérature policière en 2011 pour L’honorable société (2011) coécrit avec DOA et, toujours à la Série Noire, a publié Or noir (2015). Kop (Rivages, 1998), paru chez Rivages s’intéresse tout particulièrement à l’envers du décor du foot dans les années 80.
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