Il y a un livre de 368 pages, 60 photos pour tout comprendre de la danse contemporaine en Suisse. Le week-end dernier, il y a eu quatre jours concentrés à Genève pour découvrir ce que cette scène contemporaine suisse, au-delà de la barrière des langues (Suisse romande et Suisse alémanique), propose et projette. Tout d’abord réservées aux professionnels, les Journées de danse contemporaine suisse, initiées il y a dix ans par l’ADC (Association pour la danse contemporaine), qui réunissent de nombreux partenaires, dont une douzaine de théâtres et le Festival Antigel, sont ouvertes au public. Pendant deux ans, un jury composé de programmateurs et de chorégraphes ont planché et ont sélectionné 19 pièces d’une durée de 30 minutes à 3 heures reliées à l’histoire de la danse, par exemple la récréation de trois soli de Lucinda Childs par sa nièce Ruth Childs ou le one man show chorégraphique et pédagogique Histoires Condansées de Foofwa d’Imobilité. La manifestation met également sous le feu des projecteurs des protest dances, comme celle de Beatrice Fleischlin et Anja Meser qui rendent un hommage décalé à « Duran adam » (l’homme debout), alias le chorégraphe turc Erdem Gündüz resté immobile place Taksim. Ces protest dances s’opposent aussi aux logiques libérales comme c’est le cas de la Comédie durable de Schick/Gremaut/Pavillon).
Voilà qui pourrait faire rêver mais les premiers jours de ces journées suisses ne nous ont guère convaincue. À commencer par la prestation très applaudie de Cindy Van Acker : Elementen III- Blazing Wreck. On ne doute nullement que les danseurs du Ballet du Grand Théâtre de Genève, dont on connaît le répertoire souvent au top, ont pris plaisir à l’aventure, notamment dans les passages au sol. Mais en tant que spectateur, on reste figé, glacé. Si la pièce se réfère en partie aux naufrages peints par William Turner, on est happé effectivement par la banquise qui pourtant fond. Très géométrique, ce ballet qui renvoie également au mathématicien Euclide ne laisse guère espérer un avenir joyeux. Et la musique électronique très pulsée de Mika Vainio ne fait que rajouter au malaise. On se laisse couler, en attendant que la fin survienne.
Idem, on coule lorsque Nicole Seiler dans The Wanderers Peace du haut de ses 70 ans nous parle via Beatrice Cordua de ses années nues et masturbatoires dans un auto-documentaire. C’est touchant, il est vrai, la vie d’une danseuse qui a travaillé avec Béjart et surtout John Neumeier, c’est émouvant de prendre en compte son engagement, mais rien n’est dit de ce qu’elle pense aujourd’hui. Or, c’est ce qui aurait pu nous intéresser. Dans le même théâtre du Galpon, nous avons vu Parc National d’Anne Delahaye et Nicolas Leresche. Esthétiquement, rien de reprochable, les lumières qui jouent sur une projection d’un tableau presque vivant nous enchantent. Cela nous aurait contentée, la présence de la danseuse n’ajoute rien à l’affaire, même si elle est superbe.
Reste La Ribot, somptueuse, le regard fixé dans les yeux de ses partenaires, un blanc (l’acteur Juan Loriente) et un noir (Thami Manekehla). Sur la scène que le public peut contourner, le parc d’attraction est fermé sous une bâche noire. La fête est finie. Il ne reste que des individus qui cherchent encore un peu de chaleur, qui font frotti frotta. Another Distinguée, nouvel épisode qui suit les Pièces Distinguées, est un simple rapport de corps à corps. Une femme avec un blanc, une femme avec un noir, avec tout ce que cela suppose dans l’imaginaire et l’imagerie occidentale qui en prend un coup. Car Juan Loriente et Thami Manekehla, avant d’être blanc ou noir, sont sexuellement désirables. Distinguée en effet.
0 commentaires