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Sérénade pour manchots
| 05 Août 2023

Après le billet consacré à la visite de Charles III aux Malouines, on poursuit dans la même thématique pour s’intéresser ici au décryptage d’une ancienne photo publiée le 28 août 2021 sur la page Facebook du « Highlanders’ Museum – Fort George », un musée militaire établi dans un fort à Ardersier, localité proche d’Inverness en Écosse.

Photo publiée le 28 août 2021 sur la page Facebook du « Highlanders' Museum – Fort George »

Photo publiée le 28 août 2021 sur la page Facebook du « Highlanders’ Museum – Fort George »

La photo a été prise en 1982 par le soldat Eddie Mundy sur l’île de Géorgie du Sud, quelques semaines après la guerre des Malouines. On y voit dans un décor grandiose, mêlant mer, neige et montagnes, un joueur de cornemuse (à droite) et des manchots indolents.

Le cornemuseur est le regretté Alasdair Gillies (1963–2011), célèbre en son pays – l’Écosse – où il semble que pas mal d’individus le considèrent toujours comme un excellent musicien, ce qu’il devait être assurément: « a veritable star in ze piping world », le monde de la tuyauterie, « as we have custom to say ». Les deux manchots à côté de lui, je ne connais pas leur nom.

Un dimanche matin sur l’île de Géorgie du Sud

Cette photo a été prise par un clair mais froid, et très certainement humide, dimanche matin de l’an 1982 sur une île lointaine et subantarctique perdue dans les Cinquantièmes Hurlants, l’île de Géorgie du Sud – que les Argentins nomment Isla San Pedro – très peu de temps après la guerre des Malouines – que les Britanniques nomment Falklands. Le régiment d’Alasdair Gillies, le Queen’s Own Highlanders (QOH) avait été déployé sur place pour affirmer la souveraine et prétendue perfide présence d’Albion sur cette île oubliée de l’Atlantique Sud occupée un peu plus tôt dans l’année par les Argentins lors de leur désastreuse aventure impérialiste.

La suite de l’histoire, ce sont les vétérans du régiment qui l’ont racontée eux-mêmes dans les commentaires de la publication sur le réseau de Mark Zuckerberg. Je ne fais ici que retranscrire leurs propos, ou presque…

Depuis leur installation sur la minuscule Géorgie du Sud, l’ennui rongeait le moral des troupes aussi sûrement que les embruns de l’océan se glissaient sous les kilts pour frigorifier les hommes. Pour le combattre, le commandant de la place, un certain capitaine Greig Luton, avait décidé que ses gars paraderaient devant l’église de la station baleinière de Grytviken, la seule localité de l’île, et son petit cimetière, histoire de rendre hommage à Ernest Shackleton (1874–1922), le grand explorateur de l’Antarctique, qui y reposait en paix jusque là.

Le cairn commémoratif et la croix de l’explorateur antarctique anglo-irlandais Ernest Shackleton (1874-1922) à Hope Point, surplombant King Edward Cove sur l’île de Géorgie du Sud dans l’Atlantique sud. La croix a été érigée par les hommes de Shackleton après sa mort à bord du navire d’expédition, Quest, le 5 janvier 1922. Image courtesy of State Library of New South Wales, Sydney

Le cairn commémoratif et la croix de l’explorateur antarctique anglo-irlandais Ernest Shackleton (1874-1922) à Hope Point, surplombant King Edward Cove sur l’île de Géorgie du Sud dans l’Atlantique sud. La croix a été érigée par les hommes de Shackleton après sa mort à bord du navire d’expédition, Quest, le 5 janvier 1922. Image courtesy of State Library of New South Wales, Sydney

Défilant ensuite vers la croix dressée sur les à-pics surplombant la crique du Roi Édouard pour servir de mémorial à Shackleton, la troupe remarqua des empreintes dans la neige: une piste de manchots, les seuls piafs à pouvoir supporter le climat du coin en cette saison. Sans traces indiquant que les oiseaux étaient revenus sur leurs pas, les militaires supposèrent qu’ils étaient toujours à se balader plus haut et firent halte pour ne pas les effrayer. En effet, le tumulte d’un régiment de braves Highlanders marchant au pas cadencé derrière les si expressifs assauts des cornemuses risquait de faire perdre la raison aux pauvres bestioles, et les contraindre, pour échapper au vacarme, à sauter comme des lemmings d’Alberta par dessus le bord d’une falaise de vingt mètres de haut.

Rappelons ici à toutes fins utiles que, si la sauterie suicidaire des lemmings n’est certes qu’une légende, les manchots ne savent réellement pas voler, à la différence des pingouins… Mais l’occasion de ramener un trophée était sans doute bien trop tentante pour que ces hommes désœuvrés décidassent d’en rester là.

Alasdair Gillies, sa cornemuse, ses manchots et sa photo

Alasdair Gillies, le cornemuseur, et un compagnon muni d’un appareil photo ont donc poursuivi leur route et grimpé pour rejoindre les oiseaux, cherchant à s’en approcher aussi près que possible. Puis, parvenus au faîte, les deux humains préparèrent leur coup. Quand le premier sortit son instrument, prit la pose et souffla pour la postérité, le second brandit son appareil pour en faire sortir le petit oiseau.

Faute d’Argentins, c’est finalement face à d’inoffensives bestioles que l’État-major de sa gracieuse majesté envoya son meilleur homme pour faire entendre sa détermination à occuper le terrain. Jamais on ne sut ce que sont les manchots devenus. Cette photo est la dernière image que nous possédons d’eux…

La photo de Gillies, sa cornemuse et ses manchots, n’est pas sans rappeler cette autre ci-dessous, virale et mondialement connue des geeks anglo-saxons pour être à l’origine de ce que ces derniers considèrent comme « la plus extraordinaire simple correction jamais effectuée sur Wikipédia ».

L'anthropomorphisme et ses drolatiques ravages : quand nécessité se fait de distinguer l'homme du manchot

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