Il y a un objet, le vase Avril, que beaucoup de gens ont découvert à la galerie Sentou, qui fête ses vingt-cinq ans à l’occasion des D’Days, chez Merci. Le voici réinterprété par une trentaine de créateurs. Il a été dessiné en 1991, par le duo Tsé & Tsé, Sigolène Prébois et Catherine Lévy. Inspiré des ikebana japonais, ce contenant délicat de 21 tubes-éprouvettes, reliés par des pièces métalliques, isole chaque fleur. Il peut ressembler à une petite ronde, serpenter ou à se mettre en ligne. Un « tube » du design en quelque sorte.
Ce vase n’apparait pas vintage aujourd’hui, il est encore rempli d’actualité, de présence, créant un mini-paysage fleuri et délicat sur un meuble. Fêter ce symbole, qui est dans les collections du musée Pompidou, fêter les Tsé & Tsé, c’est mettre en valeur deux précurseuses. Car ces deux fines mouches à l’humour piquant ont inventé dès les années 90 une manière de travailler très singulière, indépendante, de la récupération de matériaux à leur petite entreprise d’auto-production-vente. Leurs voyages au Japon et en Inde ont enrichi leur collection d’objets basiques et féériques. Dont leurs guirlandes lumineuses cubistes qui ont été si copiées. Elles n’ont pas été, à tort, classées dans la discipline design, mais souvent renvoyées à un statut de stylistes fantaisistes. Pourtant leur parcours a inspiré depuis bien d’autres créateurs, démarche qui se démultiplie aujourd’hui, de l’auto-production dans les FabLab au réemploi de matériaux.
Que les Tsé & Tsé soient un peu les mascottes des D’Days 2017 ne renvoie pas au passé, mais permet de voir à quel point ce festival (17ème édition) a évolué depuis sa création en 2000. À l’époque, c’était un parcours dans les showrooms des marques, où les designers rivalisaient de scénographies autour du mobilier pour populariser cette discipline. C’était festif, éphémère et donnait une tribune aux jeunes créateurs.
Plus rien à voir aujourd’hui, la manifestation est moins strictement commerciale, en dépit des nombreux partenaires (Audi, montres Officine Panerai, Hermès…) et moins centrée sur l’objet et le meuble. Il suffit de parcourir la capitale pour voir comment elle s’est ouverte au process du design, à l’expérimentation, à la diversification, à de nouveaux modes de travail collectif, à une nouvelle génération de concepteurs, dans des rencontres entre tous les arts. On a bien remarqué cette année, de la Biennale de Saint-Étienne à l’exposition « Imprimer » au Centre Pompidou comment on a basculé du mécanique au numérique, comment le travail se transforme sous l’effet du digital. Le design est acteur dans cette révolution là en cours, les D’Days en sont forcément un peu le reflet.
Dans ce parcours, on ne dira pas que l’on ne trouve plus de mobilier, de lampes, d’objets. Galerie de Valois, le village des créateurs de Lyon présente la collection Jack, dont la lampe Mante en chêne, la chaise-écritoire Furie en sycomore. Ces créations chimériques, inspirés par des personnages fictifs, émanent du Collectif Les Vendredis, qui réunit architectes, designers et menuisiers travaillant dans un esprit mutualiste et narratif dans la même rue lyonnaise. Là, le pont enrichissant entre les disciplines est recherché.
À la galerie de Sèvres, nouveauté, c’est un graphiste, Philippe Apeloig, qui est invité à graver des assiètes en céramiques, dont Galaxie recouverte de points dorés. Dans un dialogue contemporain entre art de la table séculaire et signes typographiques si raffinés.
Au musée des Arts Décoratifs, vitrine du festival, la nef est habitée d’une succession d’expérimentations. Là, le passeur, c’est François Azambourg, qui lui aussi fête un vase, les dix ans de son Douglas, créé au Centre international d’art verrier de Meisenthal (Moselle). Ce designer fait revivre, puis pulluler ce contenant moulé dans du bois brûlé. Il le décline dans toutes les tailles, dans toutes ses formes accidentées. C’est une performance, mise en scène comme un atelier de recherches enthousiastes, virtuoses et fragiles.
Avec Bambou, portés par le savoir-faire d’artisans tawainais, Pauline Androlus, Dimitry Hlinka et Samy Rio créent une symbiose entre design, artisanat et environnement. Le matériau est magnifié sous forme d’objets imprévus, délicats, aériens. Un échange entre deux cultures très fructueux. Papier Machine est une toute autre histoire. Marion Pinaffo et Raphaël Pluvinage nous font rentrer dans les rouages et matériaux invisibles contenus dans les objets électroniques quotidiens. Ils transfèrent cette complexité sur du papier, très graphique, recréant des jeux, comme des circuits argentés, des interrupteurs, des sortes de flippers, très drôles, et bien loin de leurs référents industriels. Qui se voient démystifiés. Là, il s’agit d’un design critique, qui joue et qui déjoue.
Avec Plan symbiotique, Mameluca Studio ont monté un mur, constitué de tasseaux en bois, qui divise deux espaces indivividuels. Chaque personne peut créer son espace en fonction de ses nécessités, en poussant ou tirant les lattes de bois. On obtient alors une configuration idéale, quand est atteint l’équilibre entre besoins, désirs indivuduels et collectifs. Une installation métaphore, pour représenter « un nouveau modèle social où les hommes peuvent vivre en harmonie entre eux mais également avec la nature.»
Que les D’Days aient coopté les métiers d’art, avec le salon « Révélations » au Grand Palais, est une très bonne chose. Mais quel est l’état du dialogue ? Dans cette foire-exposition, c’est le règne de tous les savoir-faire des maîtres d’art, de l’excellence et de la haute facture où triomphent les bois et les métaux, le verre, le cuir, les tissus, le papier… dans des performances artistiques ou artisanales époustouflantes liées à la main. Mais trop souvent loin de l’inventivité du design.
Est-ce un hasard si les pièces les plus séduisantes et contemporaines sont co-créées par des artisans et des designers ? Comme Stools (galerie Tools), de Guillaume Delvigne, des sièges qui allient matériaux précieux comme le marbre et le granit et les formes très maitrisées de bornes d’amarrage. Des totems contemporains qui démontrent à quel point l’apport du design est vital pour revivifier des pratiques ancestrales.
Bizarrement sur ce salon, on s’arrête plus longuement sur le stand de l’École des Arts Décoratifs de Paris. Car une expression intrigue : « design militant ». Cela existerait-il ? Océane Thomasse propose simplement des objets altruistes, pour recréer du lien entre les gens, dans l’espace public. À côté, Florian Dach & Dimitri Zephir questionnent l’influence des cultures immigrées dans la création de l’indentité française, avec des cartes. Y aurait-il un nouveau petit vent de préoccupations sociales, collectives, d’ouvertures dans cette pratique si longtemps refermée sur elle-même ? Ce qui est certain, c’est que ce design qui se recherche en ce début de XXIème siècle n’est pas spécifiquement français, est ouvert aux créateurs étrangers, aux autres cultures. La suite du parcours des D’Days devrait donner d’autres réponses. De la galerie Joseph qui présente une collection d’objets, fruit d’une collaboration de trois équipes d’artisans réfugiés et de designers français, à la grande braderie de design à Pantin, dont le montant sera reversé à l’association AIDES.
Anne-Marie Fèvre
Design
D’Days, jusqu’au 14 mai.
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