Dix bonnes ou mauvaises raisons
1
Parce que vous avez là une magnifique occasion de lire ou relire le roman de Steinbeck, incroyable et déchirante histoire d’amitié : des êtres qui rêvent, qui souffrent et qui avancent sur les routes de Californie dans l’Amérique des années trente. Kessel écrivait « Ce livre est bref. Mais son pouvoir est long ». Oh oui.
2
Parce que l’ouvrage publié par les étonnantes éditions indépendantes Tishina est un objet particulièrement impressionnant : tranche bleutée, impression parfaite, couleurs éclatantes, tout y est soigné, léché. Vous voulez des détails ? « Les pages intérieures ont été couchées sur du papier Artic Volume 130 grammes, d’une opacité de 96% et d’une main généreuse de 1,1 ». « La couverture est imprimée sur un papier couché Sappi Magno Gloss 150 grammes, pelliculée mat, et son titre marqué au fer bleu du Pantone n°645, comme le denim des salopettes de George et Lennie ». « Les peintures ont été couchées par doubles pages sur 211 feuilles de papier aquarelle Arches, grain satiné, 300 grammes format Jésus… ». Voilà.
3
Parce que les éditions Tishina, nées en 2012, en parfaite cohérence avec le livre publié, sont aussi une histoire d’amitié : deux compères, Antoine Ullman et Jonathan Bay, qui ne publient qu’au rythme de leurs passions, à savoir bien peu, quand un livre et un univers les interpellent. L’évènement est rare, un livre tous les deux ans : il est toujours beau.
4
Parce que les illustrations de Rébecca Dautremer jouent avec le texte, se faufilent entre les mots, les reflètent, les contournent, créent des respirations, des trous, des failles. Et qu’on ne sait jamais ce que la page qui suit va nous offrir ou nous asséner.
5
Parce que Rébecca Dautremer est une immense illustratrice au style ébouriffant. Elle déclarait il y a quelque temps sur France Culture : « J’ai envie de coincer le lecteur dans mon temps à moi ». Et en effet : ouvrir ce volume au hasard, c’est se retrouver piégé, pour quelques heures, hors de tout et de tous.
6
Parce que les gars des éditions Tishina sont clairement fous à lier. Le prouvent les vidéos récemment mises en ligne à l’occasion de la sortie de leur nouveau livre, justement :
7
Parce qu’il est question dans le roman de Steinbeck de l’humanité d’un homme, Lennie, déficient mental (« Oui, il est tout comme un gosse. Et il n’a pas plus de méchanceté qu’un gosse, non plus, sauf qu’il est si fort »), comme ce sera le cas trente ans plus tard dans le récit de Daniel Keyes, Des fleurs pour Algernon, autre texte où se côtoient les souris et les faibles d’esprit, les injustices dont ils sont l’objet, leurs vies fracassées.
8
Parce que vous ne pourrez pas dévorer trop vite le récit de Steinbeck : arrêté par les illustrations de Rébecca Dautremer, vous laisserez, forcé et obligé, les mots de l’auteur américain respirer, gonfler comme jamais, vous mener de façon encore plus inexorable, dans une atmosphère de tension croissante, jusqu’au drame final.
9
Parce que la traduction française est de Maurice-Edgar Coindreau, qui a fait passer en français bien des livres de Steinbeck (Les Raisins de la colère, En un combat douteux, Tortilla Flat…) comme d’autres d’Hemingway, Faulkner, Dos Passos, Capote ou Carson McCullers. Le tout raconté par ailleurs dans ses Mémoires d’un traducteur (entretiens avec Christian Giudicelli, Gallimard, 1974).
10
Parce que, une fois que vous aurez lu et relu cet ouvrage, vous retournerez chez votre libraire : vous savez, déjà, ce que vous allez offrir à Noël.
Des souris et des hommes de John Steinbeck, illustré par Rebecca Dautremer, traduit de l’américain par Maurice-Edgar Coindreau, éditions Tishina, octobre 2020, 37€
Nathalie Peyrebonne
Dix bonnes ou mauvaises raisons
0 commentaires