Réseaux sociaux, blogs, téléphones mobiles… Je scrute nos couacs relationnels, nos dérives de comportements, nos tics de langage – toutes ces choses qui font que, parfois, je préfère me taire.
Au début, il y a une bite. Ou plutôt, une photo de bite. Anonyme. Envoyée à une de mes connaissances sur les réseaux. La chose s’appelle une dick pic (pour dick picture, soit « photo de bite »). Des hommes en envoient généralement à des femmes, sans que celles-ci aient demandé quoi que ce soit – un comportement étrange, directement en lien avec les applis et les réseaux sociaux.
Rita Renoir dessine des corps féminins dans toutes sortes d’ambiances, érotiques ou non. Présente sur Instagram, Facebook et Twitter, elle reçoit il y a quelques jours, donc, une dick pic. Elle y réagit sur ses réseaux, en plaisante comme elle en a « pris l’habitude » en pareilles circonstances. Elle envisage même de créer un compte Twitter « participatif » qui afficherait des dick pics – une sorte de « mur de la honte », commente-t-elle [1].
« La première fois que j’en ai reçu une, c’était il y a un an, raconte encore Rita Renoir. Je venais de me réveiller, je prends la tablette. Elle était là, dans mes messages sur Instagram, sans un mot ni rien. J’ai poussé un hurlement d’horreur. »
Contextualisé, ce genre de moment fait tout de suite son petit effet. Quels que soient votre genre, votre orientation sexuelle, j’imagine que, comme moi, l’idée que puisse surgir l’image en gros plan d’un pénis dans votre boîte mail, parmi vos sms – un de ces espaces qui constituent votre sphère personnelle – n’est pas une perspective légère et réjouissante. Je me suis demandée d’ailleurs si moi aussi je n’aurais pas hurlé.
Un truc de jeunes
Si vous n’avez jamais reçu de dick pics, c’est peut-être que vous ne faites pas partie d’une catégorie cible, ainsi que le montre une étude de 2017 de la société britannique d’études YouGov réalisée sur 2300 personnes aux États-Unis. En sont directement victimes : les femmes de 18 à 34 ans – même si un tiers des 35-54 ans disent en avoir reçu au moins une. Il est néanmoins juste de considérer qu’il s’agit d’une pratique des millennials – un homme sur quatre issu de la génération Y dit ainsi avoir déjà envoyé une dick pic.
La patte blanche du prince charmant
La dick pic telle qu’on la connaît aujourd’hui – sans inventivité ni effet artistique, trash en fait – a profité de l’essor des sites de rencontre dans les années 2010 pour se répandre. Soudain, on pouvait trouver des partenaires de jeu sans avoir à montrer la patte blanche du prince charmant – ce qui, j’imagine, a laissé croire à certains qu’ils avaient toute latitude pour exhiber d’autres parties de leur corps. Toujours est-il qu’il est devenu assez courant pour une femme de recevoir la photo d’un pénis assortie d’éventuelles propositions qui n’ont rien à voir avec une envie de découvrir un glacier ou d’aller voir un film dans une salle d’art et d’essai. Les filles en parlent entre elles sur le registre « ah oui, toi aussi ? », elles en rient ensemble (avis aux dick pics senders), il y en a même qui en ont fait la base de leur activité professionnelle.
Ton zob rhabillé pour l’hiver
Soraya Doolbaz est l’une d’entre elles. Cette Canadienne établie à New York a choisi, avec son projet Dicture (ci-dessous), de donner sa version des dick pics. Elle photographie ainsi des sexes d’homme dans des conditions professionnelles, les habille comme s’il s’agissait d’un « fashion show », l’idée étant « de faire rire les gens » et de dédramatiser la sexualité.
« La rédactrice free-lance et avocate à ses heures » (quoi que ça signifie) Madeleine Hodden se positionne, elle, en « critique semi-professionnelle de dick pics« avec son blog Critiquemydickpic, sur lequel elle se veut neutre dans ses commentaires, accordant des A+ et des C- comme une gentille institutrice. Et comme il n’y a pas de sot métier et que le producteur de dick pics a lui aussi besoin d’un feed back gratifiant, « Maddie » vous assure un retour sur votre production contre 25 dollars.
Jeu de pouvoir
Ces deux initiatives (il y en a d’autres) ont le mérite de reprendre la main sur un phénomène qualifié par les femmes de « stupide » et d’« offensant » (dans cet ordre-là, selon YouGov). Mais l’une comme l’autre n’ont pas un mot sur le caractère brutal de la dick pic, son aspect insultant, et le jeu de pouvoir dans lequel elle s’inscrit. Il paraît pourtant fondamental de dire et redire les points suivants :
- la dick pic, parce qu’elle n’a pas été sollicitée, peut être reçue comme une forme d’insulte, « une volonté d’asseoir sa domination, un peu comme un coup de fil obscène », complète Rita Renoir ;
- la dick pic, parce que justement elle n’est pas accompagnée de mots, qu’elle n’est pas incarnée, est difficilement assimilable en soi à un objet érotique ; elle se pose dès lors comme un prolongement viril agressif car elle pénètre la sphère intime sans y avoir été invitée ;
- il n’y a rien de drôle dans le fait d’envoyer des dick pics ;
- on n’envoie pas des photos de son sexe s’il n’y a pas eu d’accord préalable (ça s’appelle « le consentement », et c’est aussi de cela qu’il question dans les houles post-Weinstein et #metoo) ; les sextos et autres photos coquines (votre phallus déguisé en Napoléon-trop-mignon), tout est possible dès lors qu’on s’en est parlé, qu’on a défini les règles du jeu ;
- chacun de ces points est également valable en ce qui concerne les attributs sexuels féminins ; envoyer une photo de ses seins à quelqu’un qui n’a rien demandé pourra choquer, affaire d’éducation.
Pour finir, s’amuse Rita, « si vous continuez de penser que votre sexe est le centre du monde et qu’on va se pâmer devant, faites au moins un effort sur la lumière de vos photos, sur la mise en scène ». Effectivement, une dick pic, non seulement ça ne donne pas envie mais ça fait mal aux yeux.
Stéphanie Estournet
Je me tais et je vais vous dire pourquoi
[1] Rita Renoir nous renvoie finalement sur le compte Twitter de Carton Rose, qui veut sensibiliser « au cyber-harcèlement sexuel et aux agressions sur les réseaux » notamment en dénonçant les dick pics.
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