« Diogène en banlieue » : Heurs et malheurs d’un prof de philo aux confins du système scolaire.
Nous ne croyons plus en l’égalité des chances. Trop d’élèves quittent l’école sans diplôme, trop d’enfants des milieux populaires n’accèdent pas aux études supérieures. Nos examens eux-mêmes ont perdu de leur valeur. Ce qui importe aujourd’hui est moins la réussite au bac que la mention qui l’accompagne. Ceux qui se croient tirés d’affaire parce qu’ils ont ce fameux sésame en poche échouent trop souvent à l’université. Et ils y échouent doublement, au propre comme au figuré. Ils échouent sur les bancs de la fac comme la frégate La Méduse s’était échouée sur un banc de sable au large des côtes du Sénégal, par erreur. Ils arrivent là sans trop savoir pourquoi, simplement parce qu’ils ont eu 10 de moyenne générale à leurs épreuves de bac. Et parce qu’ils n’avaient obtenu que 08 ou 09/20 dans la plupart des disciplines pendant l’année scolaire, aucun cours supérieur, BTS, IUT, classes préparatoires ou écoles de commerce, de management ou d’art n’a voulu de leur candidature. Ils vont à l’université en désespoir de cause : il n’est pas surprenant qu’ils y échouent ensuite au sens propre cette fois- ci.
Notre école sans doute parvient à renouveler nos élites mais nous avions promis bien autre chose à la société. Il y a bien sûr de brillantes exceptions. J’en ai connu moi-même qui m’ont impressionné. Mais il y a toujours eu des exceptions. Le rôle de l’école n’est pas seulement de les favoriser, pour autant qu’elles en aient besoin, son rôle est de permettre à tous les élèves, brillants ou non, de repartir avec une qualification utile.
Nous ne croyons plus en l’égalité des chances, sans doute parce que nous ne croyons plus beaucoup dans notre démocratie. Je suis frappé depuis quelques années par le nombre de critiques de la démocratie que j’entends chez mes élèves. Il y a parfois de la provocation dans leurs remarques, comme celui-ci qui désirait l’instauration du califat en France ou cet autre qui rêvait d’une nouvelle dictature. Les deux élèves d’ailleurs se trouvaient dans la même classe.
Une autre fois, j’entendis un éloge du régime monarchique. Napoléon également est très souvent cité. Pas plus tard qu’hier, un élève m’assurait que la police devrait avoir le droit de tirer à vue, sans sommation. Enfin, nos élèves doutent de nos institutions. La justice leur paraît une supercherie, le vote une pratique inutile. Mieux vaut ne rien dire de ce qu’ils pensent des gouvernements qui se succèdent à la tête de l’État. Certains croient trouver des réponses auprès de différentes formes d’extrémismes. Notre époque n’en manque pas, et ce n’est pas un hasard. Pour ce petit nombre d’élèves tentés par la radicalisation comme on dit aujourd’hui, le discours du professeur est devenu inaudible. Ils ne nous écoutent plus pour les raisons que j’ai tenté de mettre en valeur dans ces chroniques. Si nous ne sommes plus crédibles de façon générale, nous le serons encore moins auprès des élèves réputés difficiles. C’est peut-être le prix un peu lourd que nous allons payer. On ne peut pas, je crois, délaisser sans danger une partie de notre jeunesse. Nous savons que les dictatures prospèrent sur l’ignorance et la misère des peuples.
Gilles Pétel
Diogène en banlieue
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