On connaissait la propension du chorégraphe et danseur (et autres : historien, chanteur…) à aller fouiner dans des registres inconnus pour mieux se défier lui-même et ainsi faire apparaître une danse sans origine, sans racine mais toujours en rapport avec l’histoire de l’art, populaire et/ou savant. On l’a vu, notamment avec Cecilia Bengolea, s’emparer sans violence du hip hop, du voguing, de la culture sm, du vocabulaire classique, du chant baroque… nous avons toujours été étonnés et, ne le cachons pas, séduits. Artiste associé à la scène nationale d’Annecy dont le comandante Salvador García ne rate pas une occasion d’accompagner de jeunes fougueux (ses), François Chaignaud vient de nous entraîner dans un voyage sans amarre, là où les plus intimes secrets sont murmurés à nos oreilles. Avec Romances Inciertos : un autre Orlando, le coquin signe un trio pour lui seul, bien qu’il soit accompagné au mieux par quatre musiciens baroques et par Nino Laisné, un autre lascar, metteur en scène, dramaturge, arrangeur et si angéliquement doux.
En un spectacle-concert, François Chaignaud passe d’un personnage à un autre tout en restant lui-même, sans rôle, sans incarnation. Il surgit, dans un douillet bien qu’inquiétant petit salon qui lui sert de scène de cabaret, en soldat casqué mais désarmé qui est en fait une femme, La Doncella guerrera, figure qui inspira notamment Astor Piazzola (Tristezas de un doble A, tango/passacaille). La guerrière sans épée se noiera pour ne pas démasquer son identité féminine. Une autre Jeanne d’Arc, comme le danseur soliste est ici un « autre Orlando ». Mais déjà nous voici ailleurs grâce à l’art du travestissement que le danseur a fait merveilleusement sien. San Miguel arrive dans un costume jaune-orangé pour interpréter un extrait d’une zarzuela baroque de José de Nebra (1702-1768). Il est juché sur des échasses, tournoyant à vous donner le vertige avant de se retrouver sur des pointes classiques. Le danseur est tout à fois la sainte portée par des jeunes hommes (ici les quatre musiciens) lors des processions religieuses, le Christ se pâmant dans leur bras, non sans gourmandise, de jota en corri corri. Enfin, coup de grâce, le danseur finit en gitane : la Tarara dont le chant populaire dit : « La Tarara a de belles boucles qui paraissent si vraie mais ne sont que postiches. La Tarara porte un petit châle qui par la fente laisse entrevoir ses seins. La Tarara a un petit doigt malin qu’aucun chirurgien ne saurait soigner. Ay Tarara, oui, Ay Tarara, non… ! Ay Tarara, belle de mon cœur… ! Ne pleure pas, Tarara avec tant de peine. Car si tu pleures, je pleurerai avec toi… ».
Sur la scène, la belle sort de sa jupe, elle devient un torero de cabaret monté sur de hauts talons, s’approchant du public avant de disparaître dans la salle. La performance physique et vocale (car le danseur chante dans des registres très différents) est éblouissante mais ne suffit pas à notre réjouissance. Ce sont les métamorphoses, les transfigurations qui enchantent. Et la danse et les musiciens, dont Jean-Baptiste Henry au bandonéon qui respire avec les travestis et se prend même pour un clavecin, nous emportent là où rituels et processions dépassent leur caractère religieux. L’Orlando furioso, la Chanson de Roland ont trouvé leur cabaret où reprendre du service.
Bien que très soignée, des costumes élaborés avec les maîtres du genre en Espagne aux tentures du salon où se noient cerfs et autres animaux qui ont raté l’arche de Noé, cette pièce est un bouillonnement, un venin, une insurrection, une gâterie.
Marie-Christine Vernay
Danse
François Chaignaud, prochaines dates : le 18 mars avec Romances Inciertos : un autre Orlando au Festival FeMÀS à Séville, au festival d’Avignon, Cloître des Célestins, du 7 au 14 juillet 2018, et avec DFS le 7 février au Théâtre de Liège, et le 16 février 2018 au Phénix, scène nationale de Valenciennes.
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